Le 13 avril dernier, tout juste vingt ans après mon premier reportage, je reprenais la route de la Serbie et du Kosovo. Désormais spécialisé sur la Fédération de Russie, je n’y étais pas retourné depuis décembre 2010, ne suivant plus la situation que de loin en loin grâce aux dépêches d’Annick Savic, ancienne correspondante de l’AFP, qui continuait à diffuser l’information sur les Balkans à un petit groupe d’abonnés. Au moment des pogroms contre les Serbes et les Roms du Kosovo en mars 2004, quelque temps après avoir claqué la porte d’une “Education nationale” qui ne remplissait plus sa mission, j’avais en effet décidé d’aller y voir par moi-même. Kouchner (1) et ses collaborateurs de la Mission internationale (2) claironnaient alors à qui mieux mieux que “si l’indépendance avait été donnée plus tôt aux Albanais, ceci ne serait pas arrivé”, parachevant ainsi la violence des émeutiers, et de leurs commanditaires. Une fois sur place, j’avais constaté l’étendue des dégâts et le total abandon des populations serbes et roms du Kosovo par une “Mission internationale” qui avait la plupart du temps laissé faire sans réagir. A mon retour, aiguillé par la librairie de l’Âge d’Homme (3), mon reportage trouva à être publié dans B.I. (4), dirigé par Louis Dalmas, journaliste chevronné, et par Kosta Christitch, ancien grand reporter au Point. Après des déboires dans la “grande presse” – un conflit avec Spectacle du Monde qui avait dénaturé mon article suivant (5) – j’ai continué à suivre l’évolution de la situation au Kosovo pour B.I., qui couvrait les “guerres yougoslaves” depuis 1996, sous le titre de Balkans-Infos (6). En ce frais mois d’avril 2024, ayant mis un point final à mon dernier livre (7), j’ai donc repris, en bus, le chemin des collines bleutées du Kosovo, comme m’y invitaient la proposition d’un éditeur, intéressé par mon ouvrage sur Racak (8), et le regain de tension dans le Nord de la région, peuplé de Serbes, sur quoi j’allais enquêter.
Cependant à Belgrade, malgré mes contacts, je me suis heurté trois jours durant à un mur. Aussi bien au Bureau du Kosovo et Métochie (9), l’institution gouvernementale chargée des affaires du Kosovo, qu’au Nouveau parti démocrate de Serbie (Novi DSS), l’ancien parti de Vojislav Kostunica, représentant l’opposition de droite à la politique de Vucic, jugé trop conciliant avec Pristina et Bruxelles. Je n’ai d’ailleurs pas eu plus de succès auprès du Bureau de presse de l’Eulex, la mission de l’Union européenne à Pristina, qui m’a renvoyé à Peter Stano à Bruxelles. J’en concluais que la situation était incertaine et tendue au point que personne ne souhaitait l’aborder avec un journaliste, même si je n’étais pas le premier venu, ayant jadis rencontré Kostunica – qui maintenant m’a-t-on dit écrivait ses mémoires dans un refuge au fond d’une forêt – et interviewé l’actuel président du Novi DSS, Milos Jovanovic (10), ainsi que l’ancienne responsable de ce qui était alors le ministère du Kosovo-Métochie, Sanda Raskovic-Ivic (11). J’en profitais donc pour mettre à jour mes connaissances, car la crise actuelle, qui remontait à loin, s’était aggravée depuis la venue au pouvoir d’Albin Kurti, qui commençait tout juste à faire parler de lui lorsque j’avais effectué mon dernier reportage fin 2010.
Né en 1975, populiste, prétendument de gauche, l’homme est en fait un nationaliste acharné – et même un irrédentiste albanais partisan de l’union avec l’Albanie – qu’on ne peut que classer dans la droite extrême, voire dans la mouvance rouge-brun pour avoir été un partisan du stalinien Adem Demaci au cours de ses années d’étude. Ce dernier, un disciple de Enver Hoxha, le dirigeant stalino-maoïste de l’Albanie communiste, fut emprisonné sous Tito, opposé à Staline, avant d’être, soit dit en passant, libéré par Milosevic, devenant alors le porte-parole de l’organisation terroriste UCK. Ayant fait partie de “l’aile politique” de cette organisation – après avoir été emprisonné en Serbie d’avril 1999 et décembre 2001 – Kurti a gagné en popularité en créant, et ce juste après les pogroms de mars 2004, le mouvement radical Vetevendosje (“Autodétermination”), sous le mot d’ordre “Pas de négociations, autodétermination ! “. Il se lance alors dans des campagnes d’agit-prop contre la Mission internationale, qualifiée de “néocoloniale”, et exigeant une indépendance immédiate. Le refus des négociations, qui portent sur le statut final du Kosovo, signale la radicalité de ce mouvement anti-démocratique. Certes ces négociations durent depuis la fin des bombardements, mais elles ont pour but de garantir une situation viable pour toutes les populations du Kosovo, et notamment une “Communauté des municipalités serbes du Kosovo”, promise depuis les lendemains des pogroms de mars 2004 (12), qui avaient notamment visé les institutions serbes qualifiées de “parallèles”, pourtant conformes à la résolution 1244 de l’ONU (13), comme je l’ai montré dans mon second reportage pour B.I. publié en octobre 2005 (14). Ainsi que d’intégrer progressivement une société marquée par le clanisme, la corruption et des décennies de régime communiste, aux institutions de la démocratie européeenne, ce qui ne peut que prendre du temps.
En février 2007, Vetevendosje appelle à une manifestation particulièrement dure devant les portes de l’immeuble de l’Unmik, qui se conclut par deux morts dans les rangs des manifestants, suite à quoi Kurti, qui se trouvait à sa tête (15), est emprisonné. Il l’est à nouveau en 2015, après une série de manifestations, dont l’une au parlement avec usage de gaz lacrymogènes, contre l’accord qui venait d’être trouvé entre Bruxelles, Belgrade et Pristina, accordant notamment plus d’autonomie aux Serbes du Nord-Kosovo. C’est dire la détermination de Kurti et de son mouvement dans sa politique nationaliste et anti-serbe. Entretemps, Hashim Thaci, ex-dirigeant de l’UCK, venant d’être nommé premier ministre, le parlement de Pristina avait proclamé unilatéralement l’indépendance de la province le 17 février 2008, se dotant d’une constitution. La mission Eulex de l’Union européenne s’était alors déployée, la Minuk réduisant ses activités, sauf au Nord, semblant entériner une partition de fait, tandis qu’en 2010, Vetevendosje se présentait pour la première fois aux élections législatives, devenant la troisième force politique au Kosovo. Opérant alors une tactique d’alliance, Kurti accède une première fois au pouvoir en 2019, devançant les anciens partis issus de l’UCK, le PDK de Thaci et l’AAK de Ramush Haradinaj, grâce à un accord avec la LDK – parti réformiste, créé par l’ancien président Rugova – qui le dénonce peu après. C’est suite aux élections de 2021, qu’il gagne grâce à son alliance avec Vjosa Osmani, l’actuelle présidente du Kosovo, issue de la LDK, qu’il accède durablement au pouvoir. Commencent alors à être entreprises une série de mesures visant la population serbe du Kosovo.
Les premiers incidents éclatent à l’été 2022 avec l’obligation de documents d’entrée et de sortie pour les Serbes entrant au Kosovo, puis l’interdiction des plaques d’immatriculation émises par la Serbie, sous peine de confiscation des véhicules, provoquant l’installation de barricades sur les routes du Nord Kosovo. Kurti persistant dans sa volonté d’appliquer la décision, déclarant de surcroît son opposition à la création de la Communauté des municipalités serbes (16), les fonctionnaires et élus serbes du Kosovo démissionnent en masse en signe de protestation, notamment les maires des quatre municipalités serbes du Nord-Kosovo : Mitrovica, Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Pristina décide alors d’organiser des élections dans ces quatre municipalités en décembre, reportées à avril 2023 suite à des manifestations, que les Serbes boycottent, provoquant l’élection de maires albanais, avec seulement 3,5% des inscrits comme à Mitrovica. De nouvelles manifestations ont alors lieu, réprimées par la police du Kosovo, l’Eulex et la Kfor, faisant des blessés. Mais l’incident le plus grave se produit les 23 et 24 septembre 2023, où un affrontement armé a lieu au Nord-Kosovo près du monastère de Banjska, entre des paramilitaires serbes d’une part et la police du Kosovo, l’Eulex et peut-être la Kfor d’autre part, dans des circonstances peu claires, qui fait un mort chez les policiers albanais et trois parmi les assaillants. Tout cela s’accompagnant d’incidents de frontière, où sont un temps stationnées des forces serbes, sur fond de guerre en Ukraine, qui fait craindre l’ouverture d’un nouveau front dans les Balkans. C’est dans ce contexte que devait avoir lieu le 21 avril le prochain scrutin dans les quatre communes serbes du Nord-Kosovo.
Le vendredi 18 avril à Mitrovica, je me rends au siège du principal parti serbe au Kosovo, la Sprska Lista (“Liste serbe”). La secrétaire, très évasive, finit par me dire que ce scrutin ne concerne pas de nouvelles élections municipales mais un referendum citoyen sur la destitution des quatre maires albanais, demandé par une pétition qui a recueilli le quorum nécessaire. Cependant les Serbes n’iront pas voter, d’autant plus que les écoles où il devait avoir lieu ont refusé de mettre leurs locaux à disposition. Selon elle, la situation est très fragile et peut exploser à tous moments. Je la quitte sur sa promesse de me ménager un entretien avec le président du parti, Zlatan Elek, directeur de l’hôpital de Mitrovica. J’espère d’autant plus cet entretien que le vice-président de la Srpska Lista, Milan Radoicic, réfugié en Serbie, a reconnu avoir organisé l’attaque de Banjska. Mais il n’aura pas lieu. Poussant alors la porte de la mairie, où flotte le drapeau du Kosovo, juste à côté du fameux pont séparant les deux communautés serbe au nord et albanaise au sud, on me dit que le nouveau maire, Erden Atiq, est rarement dans les locaux. C’est en fait un Bosniaque, qui aurait albanisé son nom, Atic à l’origine, les Bosniaques étant des Serbes islamisés pendant la domination ottomane. Parachuté ici à l’occasion des élections d’avril 2023, il appartient au mouvement Vetevendosje de Kurti.
Ma visite à la mairie m’aura cependant permis de rencontrer ensuite Valentina Djerkovic, de Zvecan, la municipalité qui jouxte Mitrovica au nord. Elle est la vice-présidente d’un nouveau parti serbe d’opposition à Srpska Lista, la Srpska Demokratija (“Démocratie serbe”), créée après les élections d’avril 2023, et elle parle parfaitement français. Selon elle Kurti mène une politique qui pousse à ce qu’elle appelle un “exode silencieux des Serbes du Kosovo”, qu’on pourrait qualifier d’épuration ethnique larvée, en n’appliquant pas les dispositions de la constitution du Kosovo et des accords internationaux en ce qui concerne les Serbes. L’acquisition de la nationalité kosovare par exemple est soumise à un traitement dilatoire et le problème des plaques d’immatriculation a été la goutte d’eau de trop. Mais ce sont surtout les atermoiements dans l’instauration de la Communautés des municipalités serbes qui ont provoqué la démission des fonctionnaires serbes et celle des maires. Une erreur selon elle, car s’en sont suivies les élections organisées par Pristina, que la Srpska Lista, commettant une nouvelle erreur, a boycottées au dernier moment. En est résulté un vacuum sur le plan institutionnel dont a profité Kurti, qui mène une politique de tension et de provocation à l’égard des Serbes. D’où l’événement de Banjska, qui a permis le déploiement de la Kosovo Security Force (KSF) au Nord-Kosovo, où elle possède désormais des postes. Il s’agit de l’organisation armée qui a succédé à l’UCK, déclarée illégale par Belgrade, ce que les Serbes considèrent comme une occupation. Elle est d’ailleurs actuellement dirigée par Bashkim Jashari, l’un des deux survivants de l’attaque de la ferme de son oncle Adem Jashari, terroriste de l’UCK qui s’y était barricadé avec son clan, par la police serbe en mars 1998, qui a fait 56 victimes. Un événement qui avait marqué le début des affrontements armés au Kosovo.
Concernant le referendum qui doit avoir lieu dimanche, selon Valentina les Serbes n’en veulent pas, car il est organisé par la Commission centrale de Pristina, alors qu’ils avaient demandé à l’OSCE de le faire. Celle-ci, dont c’est pourtant la mission, s’est défilée, ne proposant que de les observer. De plus, des caméras devaient être installées dans les bureaux de vote, les Serbes craignent donc la répression suite aux manifestations de ces derniers mois. L’échec annoncé du referendum va permettre à Kurti de maintenir le statu quo, qui lui est profitable dans la poursuite de sa politique. Lorsque je suis arrivé à Mitrovica, j’avais été agréablement surpris par la cité universitaire à côté de la station de bus. C’était la sortie des cours et une joyeuse foule de jeunes serbes s’égayaient dans les rues. Un jeune étudiant m’avait appris qu’ils étaient près de 6000, dans diverses disciplines, dont près d’un millier en médecine. Valentina me précise cependant qu’en 2021, malgré le Covid, il y en avait le double. La décrue est liée aux récents événements. De plus l’économie est tenue par Kurti et ses amis, le taux de chômage est énorme, notamment chez les jeunes dont 300 000 sont partis en UE. Et après les événements de Banjska et l’implication de Radoicic, 15% des familles du Nord-Kosovo sont parties.
Le 20 avril, je prends le bus pour Pristina et de là celui de Gnjilane, qui m’arrête à Gracanica. Ce n’est pas sans émotion que je retrouve cette petite municipalité serbe à quelques encablures de la capitale régionale. Juste après les pogroms de 2004, j’avais dormi au monastère, gardé par la Kfor suédoise, reçu par la jeune soeur Sarah et l’higoumène, une vieille serbe du Kosovo qui le soir nous faisait le récit des chroniques locales. Je remarque qu’ici, sur la façade de la mairie, flotte le drapeau serbe, ainsi qu’au-dessus de la statue équestre de Milos Obilic, fier chevalier qui accomplit des prouesses à la bataille de Kosovo Polje (17) où il tua le sultan ottoman Mourad 1er, avant d’être tué à son tour, dressant son sabre à l’embranchement de la route qui mène à Laplje Selo, maintenant rénovée. Là les langues se délient plus qu’à Belgrade ou Mitrovica. Les Serbes du Centre et du Sud du Kosovo, obligés de vivre dans un contexte albanais, se sentent d’ailleurs différents de ceux du Nord, qui vivent dans une certaine continuité de la Serbie. Ils sont d’ailleurs plus nombreux, disséminés dans de nombreuses enclaves, comme l’on disait jadis, désormais des municipalités, qui les regroupent. Et ils se sont en partie intégrés : à la différence de ceux du Nord, ils payent leurs taxes et leur électricité. Eux aussi éprouvent de la rancoeur à l’égard de Belgrade : alors que 8 millions d’euros sont attribués au Kosovo par le gouvernement serbe, à Gracanica ils n’en voient pas la couleur.
Encore plus que ceux du Nord, les Serbes du Sud se sentent abandonnés, aussi bien de Pristina que de Belgrade. Selon eux il est dans l’intérêt aussi bien de Vucic que de Kurti qu’il n’y ait plus de Serbes au Kosovo. Petar Petkovic, le chef du bureau du Kosovo et Métochie, ne connaît rien à leurs problèmes, seul Milos Jovanovic du Novi DSS trouve grâce à leurs yeux. Et ils en veulent aux Serbes du Nord de ne pas avoir empêché l’élection des maires albanais dans leurs municipalités, car les quatre communes serbes étaient un ancrage fort pour la réalisation de la Communauté des municipalités serbes au Kosovo. Le boycott des élections serait venu de Belgrade, car Srpska Lista réalise ses directives. De même que la décision de démission des fonctionnaires et des maires, qui leur paraît incompréhensible, et a laissé un vacuum dans lequel s’est engouffré Kurti. Il leur semble que c’est comme s’il y avait eu un deal Vucic-Kurti pour vider le Kosovo de ses Serbes. Quant à Radoicic, il a monopolisé tous les investissements serbes au Kosovo, c’est lui qui décidait des nominations. La mafia n’ayant pas de frontières, il a collaboré avec la mafia albanaise. Huit centre de raffinage de la drogue ont été découverts au Nord Kosovo. Il est également absolument incompréhensible de comprendre pourquoi il a entrepris l’attaque de Banjska et comment il a pu s’exfiltrer en Serbie sans un deal avec la police du Kosovo, l’Eulex et la Kfor. Sur le plan local, la Srpska Lista tient la municipalité de Gracanica. Elle profite de cette situation pour attribuer des appels d’offre à des entreprises dont elle touche des rétrocommissions. On me montre un lotissement de luxe sur le territoire d’un village serbe, destiné aux Albanais, pour lequel elle a touché de l’argent.
Le lendemain dimanche 21 avril, je retourne à Mitrovica voir comment se déroule le referendum. Il pleut, les rues sont désertes, l’unique bureau de vote a trouvé refuge à la mairie, où le hall est complètement vide. A l’entrée du pont je remarque des journaliste interrogeant un grand gaillard. Je m’approche et lui demande qui il est. Le journaliste indépendant Bronislaw Krstic accepte de répondre à mes questions (18). Il confirme la défiance des Serbes à l’égard de Pristina qui ne ménage que ses propres intérêts, mais également à l’égard de Belgrade, qui selon lui a incité à signer une pétition pour le retrait des maires albanais pour finalement décider de boycotter le referendum. Selon lui tout cela ne serait qu’une mise en scène contrôlée par ce qu’il appelle le “groupe de gestion du Kosovo”, réunissant Belgrade et Prisitina, au service de ce qu’il appelle un “groupe euro-atlantique”. Pour lui Banjska aurait également été contrôlé par ce même groupe occulte, afin de prendre le contrôle du Kosovo Nord. Quels que soient les organisateurs de cette attaque – qui pourrait d’ailleurs ressembler à la tactique éprouvée des terroristes de l’UCK et de leurs conseillers occidentaux de provocation entraînant une réaction serbe “disproportionnée” leur permettant de réaliser leurs desseins après avoir poussé la partie serbe à la faute – force est de constater que ses conséquences sont bien celles-là, auxquelles Pristina et ses appuis occidentaux n’étaient pas parvenus vingt-cinq ans après la fin des bombardements.
Le lundi 22 avril j’ai rendez-vous avec Sébastien Gricourt dans un petit restaurant donnant sur la place Skanderbeg où, derrière la statue équestre du héros alabano-serbe du 15ème siècle – défenseur de la chrétienté dans les Balkans face aux Ottomans – se dresse la mince silhouette de l’immeuble flambant neuf du gouvernement du Kosovo. Gricourt est conseiller du vice-premier ministre Besnik Bislimi, en charge de l’intégration européenne. Affable et volubile, l’homme me présente les différentes facettes de ses activités. Linguiste formé à l’Inalco, précise-t-il lorsque je lui demande s’il est juriste, il parle couramment l’albanais mais apprend le serbe, et possède une certaine expérience de la région, où il a commencé par travailler dans la Croix-Rouge en 98-99, avant de transiter par différentes institutions internationales. Lorsque nous abordons la situation au Kosovo, son discours semble mettre tous les Serbes dans le même panier : Belgrade, et les Russes à la manoeuvre derrière. Et lorsque je déclare que selon moi la pierre d’angle du règlement de la situation réside dans la réalisation de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo, il objecte qu'”il n’est pas question de créer une nouvelle Republika Srpska comme en Bosnie” (19). Selon lui “les Serbes ne demandent qu’une chose au Kosovo, c’est de vivre tranquille”. La “Communauté” en question, en serbe “Zajednica”, serait en fait selon lui une “revendication de Belgrade”. “De toutes façons, déclare-t-il, les statuts sont écrits”, ajoutant préventivement qu’il ne les a pas lus, mais qu’ils devraient être prochainement soumis à la cour constitutionnelle et publiés le 16 mai. “Donc c’est fait, conclut-il lorsque je lui demande si les Serbes ont été associés à cette rédaction. Et c’est légal précise-t-il, car la Cour internationale de Justice a accepté la déclaration d’indépendance du Kosovo comme ne violant pas la résolution 1244 de l’ONU”.
Je l’interroge sur Banjska. Selon lui un groupe de paramilitaires serbes seraient entrés illégalement au Kosovo où ils seraient tombés sur un poste de la KPS (Kosovo Police Service), suite à quoi ils se seraient réfugiés dans le monastère de Banjska où ils ont été assiégés et ont fini par se rendre. Des plans auraient été retrouvés par la suite selon lesquels un groupe de 300 hommes armés devaient entreprendre une action. Le chef du groupe, Milan Radoicic, aurait réussi à s’échapper en Serbie. D’ailleurs m’apprend-il, toutes les ambassades ont un compte-rendu détaillé de l’action, et il me donne le numéro de téléphone d’un conseiller à l’ambassade de France auprès de qui je pourrais me le procurer. Ce qui s’avèrera vain. Il tient cependant à apporter une nuance à son discours en général plutôt orienté en faveur de la partie albanaise. Il a travaillé à la Croix-Rouge, où l’on n’a jamais eu aucune information sur les trois enfants albanais noyés à Cabra, à côté de Zubin Potok, sur lesquels des Serbes auraient lâché des chiens. Alors que, reconnaît-il “les Albanais sont très forts en martyrologie”. Il s’agit donc d’une “fake-news”, qui a été utilisée pour déclencher les événements de mars 2004. Mais selon lui, “on sentait alors la tension monter, la frustration était là et ça a mis le feu aux poudres”. Ce qui n’est pas une métaphore car alors nombre de maisons, d’institutions et d’édifice religieux serbes ont été méthodiquement incendiés, sur tout le territoire du Kosovo, comme je l’ai constaté en faisant le tour de la province une quinzaine de jours après, où les ruines étaient encore fumantes.
Le lendemain à Gracanica, le vice-président d’un autre parti d’opposition à la Srspka Lista, le Mouvement populaire serbe Patrie, Branimir Stojanovic, me donne une autre version de la situation des Serbes au Kosovo et de leurs attentes quant à la réalisation de la “Zajednica”. Complétant ce qu’il déclare dans l’enregistrement vidéo de l’interview(20), il m’explique en off comment Kurti pratique une stratégie duplice de pseudo-réalisation des accords. Le plan Ahtisaari, qui a été refusé par le Conseil de sécurité mais qui est appliqué et même cité dans la constitution du Kosovo, prévoyait par exemple la création d’une télévision serbe au Kosovo. Cela n’a été réalisé que sous la forme d’un programme en serbe de la RTK (Radio-Télévision du Kosovo), qui répète les infos en albanais, à tel point qu’à l’occasion du vingtième anniversaire des pogroms de mars 2004, l’épisode de la noyade des enfants albanais à Cabra a été donnée en serbe dans la version qui les avait déclenchés. D’autre part, concernant le patrimoine religieux serbe au Kosovo, qui constitue un ancrage important de la Serbie dans sa région historique, Stojanovic évoque une entreprise d’appropriation ourdie par Kurti par la création d’une église orthodoxe albanaise au Kosovo, sous l’égide d’un prêtre orthodoxe venu d’Albanie, Nikola Djuvka. “Tout ce qu’ils n’ont pas pu détruire en 2004, ils veulent maintenant se l’approprier”, résume-t-il. Je n’ai d’ailleurs pas pu rencontrer le père Sava comme par le passé, l’évêque de Raska-Prizren, Monseigneur Teodosije, que j’avais d’ailleurs interviewé en 2004 à Decani dont il était alors l’higoumène, recommandant de ne pas faire de déclarations publiques “en cette période particulièrement sensible”.
Plus généralement, selon Stojanovic, la présentation des Serbes du Kosovo comme voulant créer une Republika Srspka avec le soutien de Poutine, de même que le projet de reprise du Kosovo par la Serbie, est le meilleur stratagème pour effrayer l’Europe. Ce supposé projet est une “fake news” de Kurti. Et “bien qu’actuellement ils aient tous les leviers du pouvoir, ils continuent à se présenter comme des victimes”. Il rappelle que pendant les bombardements, Rugova avait déclaré, concernant le règlement à venir : “Je traiterai les Serbes à égalité avec les Albanais”. Quelques années plus tard, président du Kosovo, il a reconnu “avoir échoué à le faire”. Et alors que les Serbes ont été punis pendant vingt-cinq ans pour Milosevic, car on leur a imputé une responsabilité collective, les Albanais doivent maintenant selon lui reconnaître, comme l’a fait Rugova, avoir failli dans l’application des standards européens, et recevoir à leur tour comme punition la réalisation effective de la Communauté des municipalités serbes, seule garantie de leur survie au Kosovo. Car ils sont de moins en moins nombreux. Ceux qui partent ne reviendront pas. Quant à lui il lutte pour que ceux qui restent aient la meilleure vie possible.
Concernant la décision de Kurti d’interdire les virement en dinars, qui dorénavant ne pourraient plus être effectués qu’en euros, dont Stojanivic m’a détaillé les conséquences négatives pour les Serbes au cours de l’interview, un ancien membre de la Minuk m’a fait remarquer que d’une part le Kosovo utilisait indûment l’euro, car il faut pour cela souscrire à des critères qu’il est loin de remplir, et que, d’autre part, rien ne peut l’autoriser à interdire une monnaie. Le Kosovo ne bat d’ailleurs pas monnaie, il reçoit les euros d’une contrepartie qui en détient, contre règlement aux conditions convenues, de la Banque d’Autriche par exemple. Selon Michel Svetchine, inspecteur général honoraire de la Banque de France et lui-même ancien directeur de la Banque centrale du Kosovo (BCK) de 2005 à 2008, interrogé à ce sujet, “si la constitution du Kosovo, dans son article 11, pose qu’une seule monnaie a cours légal au Kosovo, elle n’indique pas laquelle. En effet, même si, de facto, l’euro joue le rôle de monnaie légale au Kosovo, la constitution de ce pays ne pouvait l’affirmer, sauf à entrer en contradiction avec les traités fondamentaux de l’UE, puisque l’admission à l’usage de l’euro – auquel le Kosovo aspire – est de la compétence de la Banque centrale européenne. A ce titre, on peut relever que l’article 6 alinea 1 de la réglementation de la BCK en date du 17 janvier 2024, qui stipule que l’euro est la seule monnaie ayant cours légal au Kosovo, n’est pas conforme aux Traités européens”. Et il ajoute que “sur le fond, la règlementation de la BCK en date du 17 janvier 2024, a pour effet de cantonner le dinar à un usage quasi-domestique, pour les petites tractations de la vie courante.” Ce dont on peut conclure que la BCK non seulement enfreint les Traités européens, mais que de surcroît sa réglementation du 17 janvier 2024 enfreint les obligations auxquelles les autorités de Pristina ont souscrit en approuvant les accords internationaux qui garantissent le caractère multiethnique du Kosovo.
Mercredi 24 avril, je retourne à Pristina rencontrer Qëndrim Gashi, professeur de mathématiques à l’université de Pristina, dans un discret café branché, non loin de l’entrée de la nouvelle cathédrale catholique. S’exprimant dans un français parfait, l’homme encore jeune, mais déjà ancien ambassadeur du Kosovo en France de 2016 à 2021, m’apprend qu’il a été fait commandeur de la Légion d’honneur, preuve de son attachement aux valeurs de la République. L’esprit vif, apte à la construction de modèles théoriques, il commence par me dresser un tableau détaillé des relais d’influence russe en France, sur lesquels il a eu l’occasion de s’informer au cours de ses années parisiennes. Je perçois dans son discours la tension idéologique qui anime les discussions relatives au Kosovo et à la situation internationale, où souvent les Serbes sont associés aux Russes, bien que lui-même tienne à préciser qu’à son sens ce qui freine la régularisation de la situation sont les nationalistes des deux bords. Il est résolument hostile à Kurti, qu’il considère comme un autocrate et qui, malgré ses belles promesses populistes, ne fait rien depuis qu’il est au pouvoir dans aucun domaine, ni dans la santé, ni dans l’éducation, ni dans les infrastructures, ni dans l’économie. Je l’engage alors à me parler de son enfance et de sa jeunesse. Son discours se fait plus apaisé, il accepte volontiers d’en parler, sans pathos, avec cette distance d’intellectuel qui permet d’en dessiner les nuances et les aspérités.
Il est né à Klina, une petite ville de l’ouest du Kosovo. A l’école, l’enseignement était dispensé en serbe et en albanais mais il y avait un cours d’albanais pour les Serbes et un cours de serbe pour les Albanais. Le bilinguisme de fait était cependant déséquilibré, car le serbo-croate était la langue dominante de la Fédération. Il reconnaît cependant l’utilité pour les Albanais de connaître cette langue, parce que, dit-il, “nous sommes entourés de nations slaves dans les Balkans orientaux et occidentaux”. Les locaux scolaires étaient divisés : l’école ancienne pour les Albanais et les nouveaux locaux pour les Serbes, qui étaient pourtant moins nombreux. Milosevic a mis fin à ce système au début des années 90 en imposant le serment de fidélité à l’Etat serbe aux enseignants albanais, lesquels n’ont pas signé, précise Gashi, “sous pression de la communauté”. Ce qui a provoqué l’ouverture des écoles privées albanaises “financées par le 3% de la diaspora”, c’est à dire 3% de leur salaire pour payer les enseignants. Milosevic a alors fermé les lycées aux élèves albanais et organisé la conscription des jeunes de 17 à 25 ans pour aller se battre dans les conflits yougoslaves. Cela a provoqué un exode massif des jeunes albanais qui ont grossi la diaspora, en Suisse et en Allemagne notamment. A ce moment-là, son père, économiste et manager d’une entreprise d’Etat, a été licencié, comme tous les cadres albanais, et la famille n’a survécu que grâce à l’aide des membres de la famille dans la diaspora. Au moment où il devait passer au lycée, Milosevic a fait des concessions sur le plan scolaire, mais lui est passé directement en faculté de mathématiques de l’université de Pristina, où l’enseignement avait lieu dans l’institut technique pour les étudiants albanais. Gashi n’hésite pas à parler de nettoyage ethnique pour qualifier la politique scolaire de Milosevic.
Lorsque l’OTAN a déclenché les bombardements le 24 mars 1999, il avait quinze ans. Ils se cachaient dans la cave de leur maison avec leurs voisins, car elle était la plus grande de la rue. Je lui demande s’ils se cachaient dans la cave pour se protéger des bombardements. “Oui, me répond-il, mais c’était aussi pour nous protéger des représailles des militaires serbes, parce qu’on a su que Bajram Kelmendi (21) et ses deux fils avaient été assassinés par la police”. “Dix jours après le début des bombardements, reprend-il, début avril, on nous a donné l’ordre de partir à la gare de Pristina, où il y avait un monde énorme”. “Puisque l’OTAN nous bombarde à cause de vous, alors partez !”, était l’explication qui leur était fournie. Ils ont réussi à trouver de la place dans un train en direction de la Macédoine, un omnibus. “A un arrêt les Serbes ont pris des jeunes hommes, poursuit-il, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus”. Au passage ils voient des cadavres dont ils ne savent pas de quoi ils étaient morts. Ils sont ensuite restés trois jours à la frontière de la Macédoine, qui ne voulait pas les laisser entrer, craignant qu’un afflux d’Albanais ne change la composition ethnique du pays. Il se souvient des nuits dans la boue et le froid, se protégeant de l’humidité en dormant sur une pierre tombale du cimetière voisin. Sur pression internationale la Macédoine a fini par les laisser entrer. Dans le camp où ils ont été hébergé il a servi d’interprète. Et lorsqu’ils sont rentrés d’exil en Norvège, leur maison à Pristina avait été occupée par des forces serbes, qui avaient tout pillé et laissé partout des croix avec les quatre C (22).
Nous revenons alors à la situation présente. Gashi est sceptique sur la possibilité de réalisation des statuts de la Communauté des municipalités serbes, selon lui à cause de Belgrade. Il compare cela aux négociations de Rambouillet, qui selon lui ont échoué à cause du refus de Belgrade, alors que les accords étaient sur le point d’être signés. C’est oublier l’annexe B, rajoutée au dernier moment, qui a rendu inacceptable pour les Serbes la signature de ces accords, car le déploiement d’une force de maintien de la paix de 30 000 hommes de l’OTAN y était prévu, en “accès libre et sans entraves non seulement au Kosovo, mais encore à tout le territoire de la République fédérale de Yougoslavie, y compris à son espace aérien et à ses eaux territoriales” (23). Selon lui l’influence russe dans les Balkans utilise de nombreux leviers. Dont des agents, comme ce diplomate russe de l’Unmik, Mikhaïl Krasnochtchekov, arrêté à Zubin Potok en 2019 “pour avoir aidé les Serbes du Nord Kosovo à ériger des barricades”, puis expulsé. Mais c’est surtout une influence économique, via des circuits bancaires. Je lui demande si des hommes d’affaire albanais ne seraient pas aussi dans ces circuits, ce à quoi il acquiesce.
Rentré à Belgrade, j’ai fini par obtenir un rendez-vous avec la conseillère du directeur du Bureau du Kosovo et Métochie pour les relations avec l’église et la protection du patrimoine culturel. Le palais de la Fédération yougoslave où nous avons rendez-vous, au sein d’un vaste parc de la Nouvelle Belgrade, de l’autre côté de la Sava, a été rénové depuis la dernière fois que je suis venu ici interroger la ministre Raskovic-Ivic en 2006. Petite femme énergique, Milena Parlic m’interrompt lorsque j’entreprends de poser les questions que j’avais préparées, pour entamer un discours traduit par sa collaboratrice. Elle vient de rentrer de Bruxelles, et je ressens une extrême tension dans ses paroles en serbe dont, parlant le russe et le polonais, je saisis quelques-unes au passage. Comme d’autres de mes interlocuteurs au Kosovo, dont elle est originaire, elle semble excédée d’avoir à répéter toujours les mêmes choses sans parvenir à rien. Elle évoque Racak, que j’ai cité en me présentant comme l’auteur d’un livre à ce sujet. Elle précise que c’est un exemple de vérité fabriquée qui a été la cause des bombardements de la Yougoslavie en 1999. Elle était à Vucitern à l’époque, une petite ville entre Mitrovica et Pristina où elle a grandi, Vushtri en albanais. Elle est donc bien placée pour savoir de quoi elle parle lorsqu’elle évoque l’histoire du conflit. Seuls les crimes serbes sont poursuivis à La Haye, pas les crimes albanais. Et ils remettent ça actuellement avec les femmes violées, alors qu’il n’a jamais été question des viols des femmes serbes comme à Orahovac, qui hésitent à parler de leurs souffrances. Loin de se normaliser, la tension interethnique n’a pas cessé depuis 2004. Un comble, cette femme du Kosovo ne peut pas revenir chez elle, en tant qu’officielle du gouvernement serbe, Pristina lui interdit actuellement l’entrée en dépit des lois internationales et des accords sur la liberté de mouvement.
Selon elle Banjska est un acte désespéré. C’est considéré comme un acte terroriste alors que les actes terroristes perpétrés par les Albanais ne sont jamais qualifiés comme tels. Puis, pressée par mes questions, elle finit par évoquer ce qui s’entend dans la véhémence de ses paroles, une profonde douleur. Son frère a été enlevé par un groupe de terroristes albanais à Vucitern. Jeune homme sans histoire, il n’était pas militaire et ne s’occupait pas de politique. Le 25 juin 1999, il jouait aux cartes avec des amis lorsque les terroristes ont fait irruption, les kidnappant tous. On ne les a jamais revus. Elle ne sait pas où se trouve le cadavre de son frère, lequel, encore vivant, a été vu sur une photo dans un camp en Albanie par un fonctionnaire de la Commission internationale pour les personnes disparues. Le rapport de l’ancien procureur général suisse Dick Marty au Conseil de l’Europe, sur le trafic d’organes prélevés sur des personnes enlevées par l’UCK, qui date de décembre 2010, est pour l’heure sans suite et personne n’en parle. L’on peut imaginer l’angoisse des familles ignorant le destin de ceux des leurs qui ont été enlevés, dont près d’un millier, pour une grande partie des Serbes, selon la Croix-Rouge, l’ont été après l’arrivée de la Kfor le 12 juin 1999 (24). Milena Parlic m’engage alors à dire la vérité sur ce qu’ont vécu les Serbes au Kosovo, sur ce qu’ils vivent encore aujourd’hui, sans que les responsabilités des crimes commis contre eux aient été établies et que des peines aient été prononcées. Elle me prie enfin de lui envoyer les questions que je voulais lui poser, auxquelles elle répondra plus tard.
C’est sur la confidence de ces douleurs, aussi bien serbes qu’albanaises, que s’est achevé mon nouveau reportage au Kosovo. Comme l’a très justement dit Qëndrim Gashi lorsqu’il a reçu la croix de commandeur de la Légion d’honneur à l’ambassade de France à Pristina, “la réconciliation dans les Balkans, j’en suis certain, doit être fondée sur les valeurs européennes” (25). C’est à dire le droit et la justice. Il aura fallu plus de vingt ans après les faits pour que l’acte d’accusation contre Hashim Thaci, chef de l’UCK promu par la Secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright à Rambouillet, et trois de ses compagnons à la tête de l’UCK, soit prononcé, pour “crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris le meurtre, la disparition forcée, la persécution et la torture”, dont le procès a commencé à La Haye le 3 avril 2023. Limitant cette fois-ci mes déplacements au Kosovo à Mitrovica, Pristina et Gracanica, j’y ai cependant constaté une certaine détente dans l’ambiance générale. Un jeune serbe rencontré à la Maison de la culture de Gracanica, m’a confié que maintenant ils pouvaient aller faire leurs courses à Pristina, sans toutefois s’y attarder sur l’une des nombreuses terrasses de café de la rue centrale devenue piétonne sur toute sa longueur, et qui s’est beaucoup féminisée. Avant d’atteindre une normalisation des relations, celles de citoyens libres et égaux dans le cadre d’un Kosovo européen, ce qui prendra du temps, il est donc nécessaire d’enfin réaliser la Communauté des municipalités serbes, étape indispensable pour assurer une situation viable aux Serbes du Kosovo, sans oublier les Roms et les Goranis de Dragash au Sud. Sauf à trahir ces valeurs européennes citées par Gashi, qui ne doivent pas se limiter à de belles paroles mais se traduire dans les faits.
Frédéric Saillot, le 13 mai 2024
(1) Bernard Kouchner, Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Kosovo de juillet 1999 à juillet 2001.
(2) UNMIK (United Nation Mission in Kosovo), notamment François Crémieux, nommé directeur de l’hôpital de Mitrovica-Nord, et Eric Chevalier, conseiller spécial de Kouchner, ainsi que la Kfor (Kosovo Force), mission de l’OTAN chargée du maintien de la paix.
(3) A côté de l’église Saint-Sulpice, dans le 6ème arrondissement de Paris, elle était tenue par Vladimir Dimitrijevic, directeur des éditions du même nom, et offrait notamment des ouvrages sur le monde slave et yougoslave.
(4) “Je reviens du Kosovo”, B.I. n° 89, juin 2004
(5) “Les fantômes de l’après-guerre”, Le Spectacle du Monde, janvier 2005. Défendu par maître Roland Dumas et sa collaboratrice maître Agathe Denis, le Spectacle du Monde (Valmonde et Cie) a été condamné en première instance le 31/07/2007 et en appel le 28/11/2008 pour atteinte à mon droit moral d’auteur.
(6) B.I. a cessé de paraître après la mort de Louis Dalmas le 3 août 2014, au lendemain de la parution du n° 200 de B.I., de juillet-août 2014. Louis Dalmas avait notamment été le fondateur d’une agence de presse et de photo-reportage “agence Dalmas”, rachetée par Sipa.
(7) “L’après-guerre dure longtemps”, essai autobiographique, bientôt à la proposition des éditeurs.
(8) “Racak, De l’utilité des massacres tome1”, L’Harmattan, avril 2010.
(9) La Métochie désigne les propriétés des monastères dans le sud-ouest du Kosovo. En serbe, le Kosovo est nommé “Kosovo-Métochie”, “Kosmet” à l’époque communiste, “Kosova” en albanais.
(10) B.I. n° 162, février 2011.
(11) B.I. n° 108, mars 2006.
(12) Le “plan Ahtisaari” de 2007, rejeté par le Conseil de sécurité de l’ONU, prévoyait la décentralisation et l’autonomie locale des municipalités serbes dans les domaines non-régalien, contre le droit accordé au Kosovo de se doter d’une constitution. En avril 2013, l’accord de Bruxelles prévoit la création d’une “Association/Communauté des municipalités à majorité serbe du Kosovo”.
(13) Votée par le CS de l’ONU après la fin du conflit en juin 1999, elle prévoit le déploiement de la mission internationale (Kfor et Minuk), l’installation d’institutions provisoires et l’autonomie dans le cadre de la souveraineté de la Serbie sur sa province du Kosovo.
(14) “Les reconstructions Potemkine de Kosovo-Polje”, B.I. n° 103, octobre 2005.
(15) J’ai reçu à ce sujet le témoignage d’un membre de la Minuk qui, de la fenêtre de son bureau, a vu arriver “1500 manifestants qui se précipitaient vers l’entrée du QG de l’ONU”, se disant “ça y est, ils vont enfoncer les grilles et on ne sait pas ce qui arrivera, au minimum ils vont tout casser”. Mais ils sont restés à la grille, où il les a pris en photo, dont celle de Kurti, “dans un groupe de manifestants s’agitant devant la porte du QG”.
(16) https://www.euractiv.com/section/politics/news/kurti-association-of-serb-municipalities-pushed-by-belgrade-not-kosovo-serbs/
(17) Bataille à proximité de Pristina où les Serbes du Tsar Lazar, qui y trouva également la mort, furent vaincus par les Ottomans, qui preirent possession du sud de l’Europe.
(18) Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=1JeLdFuoCes&t=4s
(19) Signés le 14 décembre 1995, les accords de Dayton, signés par Tudjman, Milosevic et Izetbegovic, mettent fin à la guerre et reconnaissent la République serbe de Bosnie.
(20) https://www.youtube.com/watch?v=ZDq5Dc0aWyI&t=1s
(21) Bajram Kelmendi était un avocat, militant des droits de l’homme. Le 3 mai 1998 il avait déposé plainte contre Milosevic auprès du Tribunal pénal international pour crimes commis au Kosovo.
(22) Ce symbolisme a plusieurs significations, la plus courante est le sigle : Samo Sloga Srbina Spasava : “Seule l’Union sauve les Serbes”.
(23) Voir mon livre, “Racak…”, p 180.
(24) Voir mon reportage, “L’abcès du Kosovo”, B.I. n° 162, février 2011.
(25) https://www.youtube.com/watch?v=NHIjRCwqWVo