Un processus de révision du Code pénal de la Serbie est actuellement en cours. A cette fin, un groupe de travail gouvernemental a récemment été créé, dont la composition et les travaux n’ont pas été rendus publics.
Son objectif serait la modification du Code pénal pour criminaliser en Serbie le déni de crime de génocide à Srebrenica. En conséquence, l’article 387 du Code criminel actuel aurait été révisé et complété par une nouvelle clause 387-5 qui rendrait ce déni passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement.
Le projet d’article 387-5 qui devrait être soumis à un vote au Parlement dans la semaine du 21 au 28 novembre serait ainsi formulé :
«Quiconque approuve, nie ou diminue de manière significative la gravité du génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre commis contre des groupes de personnes ou des membres individuels d’un groupe en fonction de leur race, couleur de peau, religion, origine ou condition d’une manière qui pourrait conduire à la violence ou à l’incitation à la haine à l’égard d’un tel groupe ou membre d’un groupe, si ces actes criminels ont été jugés par un jugement définitif d’un tribunal de Serbie ou de la Cour pénale internationale est soumis à emprisonnement de six mois à cinq ans».
L’information concernant ce projet de révision du Code pénal n’a été portée à la connaissance d’une petite partie du public serbe que le mercredi 16 novembre, lorsque le texte a été diffusé sur le net. Jusque-là aucun média n’avait publié quoi que ce soit sur cette importante modification du droit pénal.
Dès que nous avons eu l’information, nous avons contacté Miloš Jovanović, professeur de droit et vice-président du Parti démocratique de Serbie, la formation fondée par Vojislav Kostunica, qui constitue actuellement un petit groupe parlementaire de trois députés, pour lui demander ce que son parti comptait faire à ce sujet. Il n’avait aucune idée de ce dont nous parlions et n’avait même jamais entendu dire qu’un tel projet était en cours. Dès que nous l’avons informé de son contenu, il a convoqué une conférence de presse pour exprimer l’opposition véhémente de son parti à ce projet.
Le lendemain, un débat improvisé a eu lieu au parlement, avec divers partis prenant des positions pour ou contre une loi de déni de génocide. Le Parti progressiste serbe au pouvoir, majoritaire au parlement, est resté notoirement silencieux, laissant d’autres membres des partis avec lesquels il forme une coalition plaider en faveur de cette loi scélérate.
Cependant, probablement surprise par le tumulte qui s’en est suivi, la ministre de la Justice Nela Kuburović a finalement déclaré publiquement que l’adoption d’une loi sur le déni de génocide était une obligation européenne de la Serbie. Elle n’a cependant pas cité de source précise.
Quelques recherches sur internet nous ont cependant permis d’établir les fondements confus de cette tentative de criminaliser un aspect important de la liberté d’expression en Serbie. Il s’agit de la « Décision-cadre sur le racisme et la xénophobie », adoptée par le Conseil de l’Europe le 28 novembre 2008 (1). Ce texte ne traite de la négation du génocide qu’en passant, se concentrant principalement sur les sujets indiqués dans son titre. Mais le plus important est que ce texte indique clairement que les exigences de la directive ne sont applicables qu’aux pays membres de l’UE, ce qui n’est pas le cas de la Serbie. Par conséquent, l’argument de la ministre Kuburović selon lequel la nouvelle disposition du code pénal serait une « obligation européenne » est manifestement faux.
En outre, le Groupe de travail serbe a repris telles que dans son avant-projet des formulations de la Décision-cadre concernant la négation de génocide, sans modification ni adaptation, faisant preuve d’une servilité difficilement imaginable.
Selon le rapport de suivi du Conseil de l’Europe pour l’année 2015, sur 28 pays membres de l’UE à l’époque, treize n’ont pas suivi les directives de la Décision-cadre de 2008 et n’ont pas introduit à ce jour la législation requise. Aucune sanction pour ces pays n’a pourtant été envisagée. Cela rend la précipitation de la Serbie à respecter une directive de fait non contraignante d’autant plus bizarre.
Un jugement de 2015 de la Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs estimé qu’une personnalité publique turque ne pouvait être poursuivie en Suisse pour avoir nié le génocide arménien parce que le droit d’articuler une telle position constituait un exercice légitime de la liberté d’expression (2). L’on peut donc se demander si les conseillers juridiques du régime serbe savent que leur proposition de loi sur la négation du génocide pourrait faire l’objet d’une annulation en cas d’appel devant cette juridiction.
Il est également possible que la loi serbe proposée soit non seulement contraire aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, mais qu’elle soit également inconstitutionnelle en Serbie. Les articles 18 et 43 de la Constitution serbe garantissent en effet les libertés de conscience et d’expression publique.
Si vous avez des inquiétudes au sujet de cette législation répressive, je vous invite à les adresser aux institutions suivantes:
– Parlement de la Serbie Département des relations publiques : infosluzba@parlament.rs
– L’Ombudsman des Droits de l’Homme de la Serbie : zastitnik@zastitnik.rs
Stephen Karganovic, Président de Srebrenica historical project (www.srebrenica-project.com), le 21 novembre 2016
(1) http://ec.europa.eu/justice/fundamental-rights/racism-xenophobia/framework-decision/index_en.htm
(2) http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/armenia/11933115/Right-to-deny-Armenian-genocide-upheld-by-European-court-in-blow-to-Amal-Clooney.html