Lors du second débat télévisé qui l’a opposée au candidat du parti républicain (1), Hillary Clinton a d’emblée rappelé ce qui fonde l’exception américaine, l'”exceptionnalité” américaine pour reprendre un mot apparu dans le vocabulaire français dans les années 80 pour les études de genre, et qui semble réservé aux seuls Etats-Unis d’Amérique : “je pense qu’il est très important que nous fassions comprendre clairement à nos enfants que notre pays est réellement un grand pays, parce que nous sommes dans le bien”. Et immédiatement après, déniant à son challenger les qualités pour être président et commandant en chef, elle martèle à nouveau : “c’est pourquoi Donald Trump nous pose problème, un problème que notre pays doit résoudre (…), car si notre pays est un grand pays, c’est parce que nous sommes dans le bien”. En l’excluant ainsi de l'”américanité”, voire de l’humanité, traitement réservé jusque-là aux Milosevic, Saddam Hussein, Kadhafi et que l’oligarchie mondialiste – dont en fait Clinton est la candidate plus que du seul complexe militaro-industriel (CMI) américain – aimerait maintenant appliquer aux présidents Assad et Poutine, Clinton révèle en fait l’essence manichéenne, voire gnostique, de l'”exceptionnalité” américaine. Se prétendant “dans le bien” par essence – ce qui explique les “double standards” et le fait qu’Obama ne se soit pas excusé au nom de l’Amérique à Hiroshima en présence des victimes survivantes – semant partout la mort et le chaos, elle est fondée sur un génocide, en cela proche du nazisme et du communisme, et trouve comme alliés, pour assurer sa domination globale, la descendance des collaborateurs de l’Allemagne nazie en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo hier, en Ukraine aujourd’hui, ainsi que l’internationale du totalitarisme islamiste.
Dans un livre récemment paru aux éditions Delga, “Hillary Clinton, la reine du chaos”, la journaliste américaine Diana Johnstone, spécialiste renommée de politique internationale, apporte une fort intéressante démonstration de la façon dont cette “exceptionnalité” américaine a été réalisée dans l’histoire récente, de l’Irak à la Libye et de la Syrie à l’Ukraine, et de la façon dont la candidate démocrate s’y est inscrite, à la suite de son mari, dans une très performante entreprise familiale, à l’enseigne de la Fondation Clinton, sponsorisée à coups de dizaines de millions de dollars par les principales multinationales américaines et les Pays du Golfe, ceux-là mêmes qui financent simultanément le terrorisme islamiste. C’est en effet sous la présidence Clinton dans les années 90, des années terribles pour la Russie et pour la Yougoslavie, que l’occasion historique pour les Etats-Unis, après la chute de l’URSS, de contribuer par leur puissance à bâtir un monde de coopération et de paix, n’a pas été saisie, révélant au monde le vrai visage de l’Amérique et assurant au CMI américain un avenir et des gains prometteurs. Car Johnstone le montre bien, contrairement aux autres empires, les Etats-Unis ne visent pas à assurer leur domination territoriale hors de leurs frontières, il leur suffit de dresser les Etats les uns contre les autres, de placer leurs hommes liges et/ou de semer partout le chaos et la zizanie, pour conserver la tranquille jouissance de leur suprématie dans leur île-continent, et assurer la prédation des richesses à leur profit, ce qui constitue la raison essentielle de leur antagonisme perdurant avec la Russie, hypothèque communiste levée, et avec la Chine. Ces pays qui leur opposent leur indépendance et l’alternative d’un monde fondé sur la coopération et le développement doivent être détruits, comme le révèlent les vociférations quasi-hitlériennes du chef d’état-major de l’armée américaine, Mark Milley, lors d’une conférence de presse au Pentagone le 6 octobre dernier (2) : “dans un avenir proche aura lieu une guerre mettant aux prises des puissances comme les Etats-Unis, la Russie et la Chine, elle sera extrêmement rapide et dévastatrice”.
Secrétaire d’Etat d’Obama I, Clinton, partisane du “smart power” – en fait de la guerre hybride alliant moyens conventionnels et “soft power” – a à son actif le coup d’Etat au Honduras, l’intervention libyenne – qui a conduit à l’assassinat de Khadafi sous-traité par Sarkozy avec les conséquences que l’on sait au Mali, en Syrie et en Europe avec les flots de “migrants” – et une tentative de révolution “blanche” en Russie, avec les mobilisations de l’hiver 2011-2012 qu’elle a elle-même suscitées. Ayant perdu son poste sous Obama II, notamment pour des raisons de santé qui ne semblent pas s’être améliorée, elle n’est pas directement responsable du putsch de Kiev de février 2014 (3), mais Victoria Nuland, sa créature néo-conservatrice, par ailleurs épouse du très influent idéologue néocon Robert Kagan, en a été la cheville ouvrière. Car comme le montre Johnstone, le courant néocon, promoteur du Projet pour le nouveau siècle américain (PNAC) élaboré sous Clinton II et repris par Bush avec la catastrophe que l’on sait en Afghanistan et en Irak, est un courant qui dépasse le clivage démocrate/républicain : “les néo-conservateurs doivent leur suprématie à leur capacité à promouvoir une vision du monde cohérente qui satisfait le complexe militaro-industriel, le lobby pro-israélien très influent au Congrès, et une grande partie de l’opinion “de gauche” (notamment dans l’industrie des médias et du divertissement) qui adoptent avidement la défense des “droits de l’homme” dans le monde comme justification légitime de l’intervention américaine dans les autres pays”. Courant néocon dont l’influence dans l’Etat américain rejoint pour partie celle du clan Brzezinski, le conseiller des présidents américains de Carter à Obama, dont la stratégie développée dans Le Grand échiquier vise depuis la première guerre d’Afghanistan au démantèlement de la Russie.
Car la “gauche” de Clinton, à la différence de celle de Bernie Sanders, évincé aux primaires démocrates, n’est pas une gauche sociale, comme l’explique Johnstone, c’est une gauche sociétale très agressive qui, se coulant dans le moule néocon, cherche à imposer une vison multiculturaliste et “multi/trans-genriste” de la société, quitte à l’imposer dans les sociétés traditionnelles via les ONG et l’intervention humanitaire, motivée par la “nécessité de protéger” les minorités contre la majorité, forcément criminelle. Selon Johnstone, c’est l’échec du plan d’assurance santé universelle confié à Clinton en 1993, qui l’aurait fait passer d’une “gauche” l’autre, voulant prouver qu’elle était aussi capable qu’un homme d’assumer les fonctions de commandant en chef. Ce serait donc pour des raisons électorales. Elle va cependant plus loin dans un chapitre courageux, intitulé “la mégère apprivoisante”, où elle range Clinton au rang des “femmes sans pitié”, avec Allbright, Susan Rice, Nuland, Samantha Power et l’inénarrable Jen Psaki, qu’elle n’hésite pas à traiter de “harpies”, remarquant que “l’administration Obama a intensifié l’utilisation des femmes pour fustiger et maîtriser le reste du monde”. Il suffit d’ailleurs de les voir maniant le mensonge et la manipulation à la tribune de l’ONU comme Power ou dans les conférences internationales comme Allbright, mère en politique de Clinton, à Rambouillet en 1999, pour constater qu’elles n’ont rien à envier aux hommes sur ce plan là.
Comment en sortir et éviter le danger d’une confrontation majeure que l’hubris de domination universelle américaine fait courir à l’humanité, et signerait probablement sa fin ? Johnstone semble très pessimiste, pour qui les prochaines présidentielles, au moment où elle signe son ouvrage en juin 2016, se joueraient entre deux clans américano-sionistes, sponsorisant chacun le candidat démocrate et le candidat républicain, Haim Saban, milliardaire influent et sponsor de la fondation Clinton, et Sheldon Adelson, non moins richissime et bailleur de fond de l’AIPAC, le néocon et très influent “American-Israel Public Affairs Committee”. D’autre part, elle se lamente avec Paul Craig Roberts, ancien sous-secrétaire du Trésor de Reagan, que “les délocalisations (aie)nt détruit les syndicats industriels et manufacturiers américains. Leur disparition et l’attaque actuelle contre les syndicats d’employés publics ont laissé le parti démocrate financièrement dépendant des mêmes groupes d’intérêts privés que les républicains. Les deux partis représentent désormais les mêmes groupes d’intérêt.” Et c’est sur un mode profondément désenchanté qu’elle présente une sorte de cabinet fantôme, avec notamment Ron Paul, qui “serait un excellent secrétaire pour réduire le budget de la Défense”, mais elle sait que tout ça “bien sûr c’est un rêve”.
Au moment où elle a écrit son livre, les primaires républicaines n’étaient pas achevées, et bien peu étaient ceux qui croyaient possible l’élection de Trump, tant d’emblée l’establishment et les médias internationaux, aux mains de l’oligarchie, se sont d’emblée déchaînés contre lui, choisissant d’amplifier ses déclarations à l’emporte-pièce plutôt que de s’intéresser à son programme. Qui a une remarquable cohérence tant sur le plan économique qu’en politique étrangère : proposant de rapatrier les emplois délocalisés précisément, lui-même homme d’affaire, il entend redonner au capitalisme industriel un rôle que lui a dérobé le capitalisme financier. Tirant parti de l’échec de toutes les présidences précédentes dans les politiques d’interventions extérieures, il est partisan d’un rétablissement de liens amicaux avec la Russie avec laquelle il entend coopérer dans la lutte contre le terrorisme. Enfin, jouissant d’une fortune confortable tirée de ses activités immobilières, il finance lui-même sa campagne, ce qui le rend indépendant du CMI et autres groupes de pression dénoncés par Johnstone. Vouloir en finir avec la mondialisation, c’est à dire avec l’américanisation du monde, et signer la faillite du Projet pour le Nouveau Siècle Américain font de lui l’homme à abattre. La presse de l’oligarchie, CNN en tête, se répand dans l’hystérie anti-Trump, à de rares exception, dont celle de Laure Mandeville, chef du bureau Amérique du Figaro, qui vient de donner une très intéressante interview (4) pour présenter son dernier livre : Qui est vraiment Donald Trump ? aux éditions des Equateurs. Pour elle, il “a su capter, au-delà de l’air du temps, la colère profonde qui traversait l’Amérique, puis l’exprimer et la chevaucher. Grâce à ses instincts politiques exceptionnels, il a vu ce que personne d’autre – à part peut-être le démocrate Bernie Sanders – n’avait su voir: le gigantesque ras le bol d’un pays en quête de protection contre les effets déstabilisants de la globalisation, de l’immigration massive et du terrorisme islamique”.
Et il n’est pas le seul à peut-être réserver des surprises dans des élections à venir bientôt.
Frédéric Saillot, le 16 octobre 2016
(1) https://www.youtube.com/watch?v=OyDSCKYz5sA&app=desktop
(2) http://www.express.co.uk/news/world/718154/world-war-three-warfare-lethal-fast-guaranteed-William-Hix-Joseph-Anderson
(3) Pour une chronologie plus précise du putsch de Kiev, voir mon article Le Putsch de Kiev, chronique d’un coup d’Etat, paru dans B.I. n° 197 d’avril 2014, disponible sur le site d’Eurasie Express dans la rubrique Miscellany : http://www.eurasiexpress.fr/putchchronique/
(4) http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/10/07/31002-20161007ARTFIG00332-donald-trump-et-la-colere-populaire-americaine-le-dessous-des-cartes.php