Le pamphlet récemment publié sur de prétendus «réseaux du Kremlin en France» est un bon exemple de la désinformation que nous subissons aujourd’hui dans le cadre d’une véritable guerre qui aboutit à des fractures sociologiques graves dans notre pays.
L’ouvrage signé d’une dénommée Cécile Vaissié, enseignante à l’université de Rennes II, n’a rien d’universitaire – en dehors de la transcription phonétique dans les notes – tant les erreurs, les à peu près, les contre-vérités, les clichés, les préjugés, les injures et les diffamations camouflées mais réelles y abondent.
A commencer par la description même de ces pseudos «réseaux du Kremlin» : s’il y a des réseaux du Kremlin en France, ce ne sont certainement pas les gens décrits dans ce livre, peut-être de commande, tant les termes et même le vocabulaire est identique à ce qui se fait en ce moment dans beaucoup de pays européens, depuis le début de la crise ukrainienne et tant a été rapide la « reprise » de l’ouvrage par radio « liberté » en russe, financée de l’étranger et spécialisée dans la propagande antirusse. Tout ce qui est cité et plus ou moins décrit dans le livre, dans un style par moments de mauvaises fiches de police, est totalement public et transparent. On peut le lire et le retranscrire des différents sites internet français, européens, russes ou même d’autres pays, où tout est expliqué, décrit etc. . On est très loin d’un John Le Carré, qui a écrit d’excellents romans d’espionnage, et que citent complaisamment les copains politiques de l’auteure, à longueur d’émissions de radio ou de chroniques de gazettes. A noter : sans aucun droit de réponse ou de souci d’équilibre et d’honnêteté par rapport aux personnes mises en cause qui évidemment ne sont jamais invitées.
Comme le but essentiel de tels écrits est de discréditer tous ceux qui ont une opinion différente du clan de l’auteure – une otanienne pro-américaine tendance néo-cons inconditionnelle – le recours aux clichés russophobes ressurgis de la guerre froide s’ajoute aux affirmations mensongères et aux allusions non sourcées. Parfois, comme sources on cite ses propres amis de facebook (sic) ou des organes de presse, totalement engagés dans le camp de l’auteure qui par ailleurs fait preuve d’un mépris professionnel assez odieux à l’égard de ses collègues universitaires qu’elle n’aime pas.…
Au hasard des pages, on apprend qu’à l’ambassade de Russie, on «sert le caviar à pleine louche» ! Ce qui est évidemment absurde. Dans la même eau, elle nous affirme sans cesse que la Russie subit une crise économique terrible – ce qui cette fois est vrai -, que le gouvernement russe est incapable de sortir le pays de la pauvreté – ce qui deviendrait intéressant si c’était argumenté -, mais paradoxalement, elle affirme que l’argent coule à flots. Evidemment, pour soi-disant subventionner l’extrême droite, notamment le Front National et, par allusions glissantes, d’autres politiques en France qui ont le tort à ses yeux de ne pas “penser OTAN” mais Europe. Là aussi des affirmation, mais aucune preuve ou enquête sérieuse. Pour ce qui concerne le Front national, le prêt qu’il a obtenu d’une banque chypriote appartenant à un oligarque russe et non au Kremlin est loin d’être avantageux. Il suffisait de le demander, en tant que journaliste, aux parlementaires russes invités au congrès du FN à l’époque.
L’une de ses cibles favorites, et sans doute celle qui trahit le plus sa xénophobie, voire son racisme profond contre les Russes en tant que peuple, sont les émigrés et les descendants d’émigrés russes en France. Bien sûr, elle s’en défend à la manière de l’antisémite qui aime à dire que son «meilleur ami est un juif»… Ces émigrés se sont organisés depuis des lustres en diverses associations d’intérêts et d’orientations souvent très différentes. Depuis 2010, une partie d’entre elles – quelque 170 en 2015 – se sont regroupées en un forum qui a élu un Conseil de coordination. Ce dernier a demandé à être reconnu par l’État russe qui l’a intégré dans son programme mondial de coordination de ce qu’il appelle « les compatriotes», au sens très large, puisque des personnes non-russes y participent. Le but du Forum était justement d’établir une coordination horizontale, notamment entre les écoles, et une meilleure relation avec les représentants russes, les régions et les institutions russes. Tout cela est public et affiché sur un site internet ouvert (www.conseil-russes-france.org). L’auteure sympathise elle-même avec une coordination ukrainienne (pro-Kiev) qui pourtant n’hésite pas à faire de la politique et à jeter des anathèmes. Au point d’exiger de Canal + d’interdire un documentaire qui leur déplaisait : “Ukraine, les masques de la révolution”, de Paul Moreira. Ce que les épouvantables russes n’ont jamais fait, malgré la pléthore de films russophobes sur plusieurs chaînes de télévision. Mais Mme Vaissié interdit aux seuls Russes d’origine ou de citoyenneté de s’organiser ! Les autres nationalités, communautés ou religions y ont droit mais pas les Russes, qu’on traite immédiatement d’espions et de traîtres. Cela ne sentirait-il pas la discrimination ou le racisme ? De la même façon doit-on aussi soupçonner les Français de l’étranger ?
Jouissant de l’immunité de fait dont on bénéficie quand on injurie ou quand on discrimine des Russes – contrairement à d’autres nationalités, ethnies ou religions – la professeure de russe – qui doit être bien malheureuse d’avoir à traiter d’une nationalité qu’elle abhorre au point qu’elle en arrive à se réjouir qu’une pétition-test sur la reconnaissance de la langue russe n’ait selon elle pas abouti, ce qui est une erreur de plus – se lance dans des attaques ad hominem. Parmi ses cibles, M. Dimitri Schakhovskoy, descendant d’une famille princière qui a émigré après la révolution. Rien que cela lui vaut les lazzis de Vaissié qui n’hésite pas à écrire que «selon certains, il était proche du KGB»… On ne sait pas qui, on ne sait pas pourquoi, mais c’est dit. C’est peut-être une façon de se couvrir juridiquement mais l’honnêteté et la rigueur universitaire sont loin. Autre «prince» attaqué : M. Alexandre Troubetskoy, accusé de tous les maux et évidemment soupçonné des pires turpidudes, là encore sans rien de précis ou de prouvé, parce qu’il est directeur du Dialogue franco-russe, une organisation qui par essence même est consacrée au business franco-russe. Là aussi tout est public, sauf les négociations commerciales. Et les efforts faits pour sauvegarder un bon climat d’affaires franco-russe est pour le moins légitime pour une telle organisation et ses dirigeants. Dont le député Thierry Mariani qui n’a pas le droit de penser, selon Mme Vaissié, que de tels échanges vont dans l’intérêt de la France et de la Russie, voire de l’Europe tout entière. Cette dernière idée étant tout simplement insupportable aux atlantistes inconditionnels comme Vaissié. Avec aplomb, elle nie du reste toute influence américaine en France et ne s’indigne pas de l’opacité des négociations du Tafta avec ses modèles d’outre-Atlantique, ni des neuf milliards de la BNP, dont ont été privés les chômeurs français, dont ceux de l’Alstom, perle technologique française livrée dans des conditions bien obscures à General Electric (voir à ce propos le député Jacques Myard). Evidemment, elle ne peut déplorer les millions d’euros, voire le milliard, perdus avec la ridicule affaire des Mistral dont la livraison ne nuisait nullement aux intérêts stratégiques de la France, contrairement à l’annulation sur ordre.
Parmi les cibles «émigrées» particulièrement affectionnées, il y a aussi Dimitri de Kochko, auteur de ces lignes. Là, les contre-vérités et les allusions diffamatoires abondent. D’abord, s’appuyant sur une thèse pour le moins douteuse – car son auteure n’est pas venue interroger les personnes concernées – Vaissié cite entre guillemets des paroles que je n’ai jamais pu dire, tant elles sont absurdes et incohérentes, sur le statut du Conseil de coordination, dont j’ai été le premier président. Présentées comme s’étant déroulées en grand secret, les discussions sur le statut juridique sont en fait publiques. La problématique, faussée par Vaissié, portait sur la nécessité ou non de donner un statut juridique au forum, par définition assez volatile et de ce fait ingérable. Ce qui n’est pas le cas du Conseil de Coordination. …Ma position est totalement inversée, à en croire l’interprétation que donne Vaissié de la thèse citée. Elle n’hésite pas ensuite à reprendre un vieil argument, employé contre moi par les partisans du régime de Kiev, pour lequel j’ai marqué dès le début assez peu d’enthousiasme, ce qui était impardonnable à leurs yeux. Une facture d’une association, signée par moi de 5.000 euros – bien 5.000 euros pas 5 millions… à l’heure des Panama papers, avouez… – trouvée, dit-elle, dans le palais de Yanoukovitch et fournie sans doute par des services ukrainiens ou des partis d’extrême droite qui ont joué le rôle que l’on sait – sauf Vaissié – dans la prise de pouvoir à Kiev, permet à l’auteure de m’accuser «de gagner de l’argent» et de donner des leçons de déontologie journalistique, ce qui de sa part est particulièrement mal venu.
D’abord, on ne voit pas ce que le Kremlin a à voir là-dedans, puisqu’il s’agit d’une affaire ukrainienne. Ce sont effectivement des parlementaires ukrainiens, d’ailleurs de diverses tendances, qui ont demandé à l’association des russophones de les aider à organiser un voyage à Paris pour qu’ils puissent rencontrer leurs homologues français. Leur ambassade, qui aurait dû s’en charger, sabotait tout, selon leurs dires, car elle était tenue par un partisan de Youchtchenko, le président battu aux élections par Yanoukovitch. Ayant travaillé en Ukraine, je connaissais des membres de la délégation. J’ai donc accepté et nous avons fait profiter ces Ukrainiens d’un tarif négocié dans un grand hôtel parisien. Nous avons aussi organisé une rencontre avec la presse et les gens intéressés et l’association a fourni une de ses salariées pour la traduction durant trois jours. C’est ce que couvre cette facture. Mais ou bien le travail des services ukrainiens est incomplet, ou bien l’honnêteté de Vaissié est encore prise en faute, car il se trouve que nous n’avons jamais reçu ce remboursement ! Ce qui doit être visible dans les documents comptables… Vaissié reprend aussi d’autres calomnies dont j’ai déjà été victime : ainsi le magazine Inrock m’accusait l’an dernier de jouer au DRH embauchant un pigiste pour un organe de presse «poutinien», pour lequel je ne travaille même pas !!! Aucune vérification de la part de la rédaction du magazine ! Pour faire bon poids, Vaissié en rajoute : elle affirme que la photo d’illustration du magazine en question me montrait dans les studios de «Pro Russia», une télévision internet, dans lesquels je n’ai jamais mis les pieds… Bien sûr, on a droit aussi aux dénonciations de type stalinien du journal Libération, auxquelles j’ai répondu en vain. Mais on peut trouver la réponse sur internet. Vaissié, pseudo-enquêtrice, ne se donne pas la peine de la citer. C’est dire le sérieux de cet écrit.
Les «rappels» historiques que fait Vaissié valent aussi leur pesant de cacahuètes, comme aimerait à écrire la professeure pour faire peuple. Ainsi le coup d’État à Kiev le 22 février 2014 se serait produit parce que «Yanoukovitch est parti» !!! Comme ça ? Tout d’un coup ? Avec trois ministres de l’UE qui viennent de signer un accord avec lui et l’opposition ? Accord qu’ils ne respectent pas et qu’ils ne font pas respecter. Quant aux jeunes fédéralistes brûlés vifs à Odessa le 2 mai 2014, dans le silence général de la presse occidentale, alors que l’internet était plein d’images insupportables quelques heures après l’événement : ils ont mis le feu eux mêmes ! Là on entre dans le nauséabond. Et ceux qui sautaient par les fenêtres pour tenter de s’échapper et étaient battus à mort par la foule déchainée : ils s’auto-flagellaient sans doute ? Evidemment, rien sur les bombardements et les massacres commis contre la population ukrainienne du Donbass par les troupes et les détachements néo-nazis – ils en arborent même les insignes – venus de l’ouest. On a pourtant tué Kadhafi pour avoir bombardé sa population. Mme Vaissié se contente de décrire une information bidonnée d’une télévision russe, et d’ailleurs démentie dans les médias russes, sur une soi-disant crucifixion d’enfant, pour tenter de les discréditer. Comme cet exemple est un des seuls, elle le répète plusieurs fois, oubliant que notre presse occidentale regorge de telles exagérations, de silences – comme Odessa – et de jugements de valeur à géométrie variable, sans parler du mépris total du droit de réponse quand il s’agit de Russes et de l’absence de démentis.
En un mot beaucoup de pages pour rien, si ce n’est pour alimenter encore une haine bien inutile entre Européens qui ont déjà été suffisamment saignés au siècle dernier et les Russes plus encore que d’autres. Pas assez pour des gens comme Vaissié. Odieux.
Dimitri de Kochko Avril 2016