Macron, joker d’un système à bout de souffle

Du joker, le tout nouveau président français Emmanuel Macron paraît occuper la fonction : dernière carte à jouer du système, pendant les cinq années de son mandat il est condamné à réussir sous peine de la venue au pouvoir d’une alternative à l’Union européenne, à l’euro et au bloc euro-atlantique, déjà bien entamée avec le Brexit et la présidence Trump aux Etats-Unis. Mais c’est aussi sa méthode qui pourrait bien être représentée par le fou du jeu de carte, arborant le vêtement à grelots, symbole médiéval de la folie. Car si Macron, dans sa démarche, apporte un dépassement salutaire des oppositions figées du jeu politique tel que nous l’avons connu jusqu’à présent, et une ouverture à la complexité du réel bien oubliée en ces temps de propagande unipolaire, il n’en est pas moins, dans sa hâte parfois brouillonne et dans son manque de connaissance et de mûrissement de certains sujets, susceptible de conduire à l’illogisme dans la conduite de sa politique, et donc au désordre et au chaos.

Il est incontestable que la victoire électorale de Macron est le fruit d’une mobilisation sans précédent du système économico-médiatico-politique, une fois Juppé, qui en avait les faveurs, écarté au profit de Fillon par les primaires de la droite, lequel a à son tour été écarté dans les conditions que l’on sait, pour faute de déclaration de guerre totale au “totalitarisme islamique” et de volonté de rapprochement avec la Russie, non sans avoir lui même offert les armes de sa mise à mort politique. Mais l’on peut cependant se poser la question du degré d’autonomie du nouveau président par rapport au système qui l’a mis en place. Dans une contribution documentée à la connaissance du personnage, l’IGRP (1) relève que ses mentors n’ont pas été sans formuler des critiques inquiètes à son égard. Attali, juste après sa déclaration de candidature le 16 novembre, déclarait dans le reportage « La stratégie du météore » diffusé le 21 novembre sur France 3 : « L’ambition individuelle est une passion enfantine. […] Il est sur la mauvaise voie. C’est purement sur les apparences, et narcissique. Ce serait du gâchis ». Tout comme l’agent d’influence néo-conservateur depuis déjà Mitterrand, B.H. Lévy, qui a décidé de finalement soutenir Emmanuel Macron, non sans réserves sur « ce parfum d’aventure personnelle”.

Il est en tout cas peu remarqué que Macron a commencé sa carrière politique auprès de Jean-Pierre Chevènement lequel, qui n’en manque pas, lui reconnaît une intelligence hors du commun, et que s’il a été banquier d’affaire de la banque Rothschild, il souligne lui-même lors de l’intéressante interview qu’il a donnée à Mediapart le 5 mai dernier (2), qu’il en est sorti. Outre cela, l’on peut porter au crédit de ce nouveau président un pragmatisme et une aptitude à transgresser les conformismes qui pourraient créer la surprise après dix années d’une politique étrangère désastreuse, alignée sur Washington. Car si son conseiller diplomatique est le très néo-conservateur Gérard Araud, actuel ambassadeur aux Etats-Unis, Macron déclare vouloir mener une politique étrangère “gaullo-mitterrandienne ou chiraquienne”, condamnant notamment l’intervention libyenne, et désignant comme “pire ennemi après les terroristes et les djihadistes islamistes” les “Etats faillis”, précisant : “je ferai tout pour qu’on maintienne la stabilité des Etats, je pense au sujet syrien mais aussi à plusieurs autres” et confirmant que sur ce sujet-là, il est “totalement” sur les positions  de Villepin, qui souhaite “trouver des accommodements avec la Russie”. Et, s’il lui reste à découvrir que la “déviation” date du coup d’Etat de Kiev de février 2014, il n’en diagnostique pas moins que “la vraie difficulté du processus de Minsk, c’est que l’Ukraine elle-même est en train de dévier”.

Il n’en demeure pas moins que dans le même interview, il précise que s’il considère “extrêmement violente et cynique” la délocalisation de Whirlpool, il ne peut l’empêcher car “c’est le monde dans lequel nous vivons”, et que ce qu’il va s’efforcer de faire dans les cinq années qui viennent, c’est d’adapter la France à cette nouvelle donne par ce qu’il appelle la “flexisécurité”.  Car nous serions désormais contraints par une intégration économique et une interdépendance sans cesse croissantes, interdisant tout retour en arrière protectionniste et l’intervention d’un Etat stratège, comme le propose son adversaire du second tour. Avec laquelle il a justement commencé à s’affronter, indirectement, à l’usine d’Amiens, à un moment où l’on rentrait “dans le dur” de la campagne, une semaine avant le fameux débat du 3 mai, si injustement décrié (3). Car il aura eu au moins le mérite d’aborder le fond de nombre de sujets, où Marine Le Pen, avec courage et détermination, si elle a manqué d’esprit de décision stratégique sur le plan économique, aura pu révéler un certain nombre d’incohérences du candidat Macron, sur lesquelles les médias de l’oligarchie ont fait silence.

Il est vrai que ce débat a été très peu dans le ton de ceux opposants habituellement les candidats de second tour, au pire à “fleurets mouchetés” pour reprendre une expression bien française. On a eu par moments l’impression de deux ados se disputant dans une cour de récréation, Macron ne se privant pas d’accuser à maintes reprises son interlocutrice de “dire des bêtises” et même de “mentir”, laquelle aurait dû beaucoup plus tôt dans le débat souligner son arrogance. L’attaquant d’emblée sur le conflit d’intérêt en quoi a consisté la vente de SFR à l’oligarque Drahi alors que Macron était ministre de l’économie, celui-ci a beau jeu de prétexter que SFR appartenait à un groupe privé et que cette vente avait été décidée avant sa nomination. Ce qu’il oublie de dire, et que Le Pen ne rappelle pas, c’est que cette vente était subordonnée à la signature d’un accord de l’Etat, conformément à un décret “protectionniste” du ministre démissionnaire Montebourg, en date du 14 mai 2014 relatif aux ” investissements étrangers soumis à autorisation préalable” (4), que Montebourg avait refusé de signer, ce que Macron s’empresse de faire dès sa nomination, finalisant la vente à Drahi, par ailleurs patron de BFMTV, l’un des vecteurs médiatiques de sa promotion et de sa victoire finale.

Mais c’est sur la question de l’islam en France et sur celle de la sécurité que Le Pen a fait la démonstration de la légèreté de son adversaire, et même du danger de ses positions puisqu’il est désormais élu. Poussé dans ses retranchements, à aucun moment Macron n’a déclaré refuser l’appui de l’UOIF, l’Union des organisations islamiques de France, notoirement liée à l’organisation terroriste islamiste internationale des Frères musulmans, financée par le Qatar. Alliés des néoconservateurs américains, les Frères musulmans ont été le fer de lance du “printemps arabe”, et inspirent l’islam politique partout dans le monde, avec le succès que l’on sait notamment en Syrie. Si bien que lorsque Le Pen déclare “il faut éradiquer l’idéologie du fondamentalisme islamiste dans notre pays et vous ne le ferez pas parce que vous êtes soumis à eux”, elle touche juste et il y a matière à s’inquiéter. Macron prétend alors “ne pas connaître” les dirigeants de l’UOIF, ce qui est pour le moins rédhibitoire pour un candidat à la présidence, et s’engager à “la faire interdire”, si l’UOIF “prononce, invite, mène des activités contraires aux lois de la République”, sans tenir compte des propos tenus par l’UOIF lors de ses congrès rapportés par Le Pen. Elle poursuit l’offensive en demandant à Macron ce qu’il a voulu dire en déclarant que “la France a une part de responsabilité dans le terreau du djihadisme”, lequel finit par expliquer que selon lui les terroristes islamistes nés en France sont soit des malades psychiatriques soit des victimes de “notre République (qui) enclave, assigne à résidence des jeunes, par l’échec scolaire, par l’échec économique et social”. L’on se demande alors où se situe pour lui la part de responsabilité des intéressés, et de l’idéologie islamiste de ses soutiens de l’UOIF, qui conduit au passage à l’acte.

C’est alors que Macron utilise l’argument du piège de la guerre civile tendu par les terroristes, dans lequel tomberait Le Pen en proposant une politique de fermeté concernant la propagation de l’idéologie islamiste, avant le passage à l’acte. Et qu’il assène ce qu’il a concocté depuis quelques jours avec sa visite à Oradour, celle au Mémorial de la Shoah et enfin la veille celle à Daniel Cordier : la rafle du Vél d’Hiv, assimilant Le Pen à Pétain, voire à Hitler, dans une “reductio ad hitlerum” ressurgissant de l’abondante utilisation qui en avait été faite par la propagande néo-conservatrice au moment des guerres yougoslaves. Elle lui rétorque alors son aberrante déclaration lors d’une interview à Echourouk News en Algérie le 14 février (5), selon laquelle la colonisation constituerait un crime contre l’humanité, dont la France devrait s’excuser, alimentant la haine et le désir de vengeance des jeunes issus de familles venues d’Algérie. Il se défend en invoquant “les drames pendant cette guerre, qui ont touché nombre de nos concitoyens : les harkis, les rapatriés”, qu’au cours  de l’interview il avait qualifié “d’expatriés”, ce qui prouve qu’il sait compléter ses dossiers. Mais s’il le fait ainsi à contretemps alors qu’il est désormais aux affaires, il est à craindre le pire… Et de contre-attaquer à nouveau Le Pen en revenant sur le Vel d’Hiv, mais cette fois en rappelant sa réponse à Olivier Mazerolle le six avril dernier, au lendemain de sa visite mouvementée en Corse, lors d’une interview au Grand jury de RTL-Le Monde en compagnie d’Yves Thréard et de déjà Christophe Jakubyszyn quand, après avoir été soumise à un intense bombardement en stéréo sur les délais des négociations avec Bruxelles devant conduire à un referendum, il lui demande à brûle-pourpoint : “Est-ce que Chirac a eu tort de parler de la responsabilité de la France dans le Vel d’Hiv ?”, elle répond : “Je pense que la France n’est pas responsable du Vel d’Hiv”.

Le Pen a alors beau expliquer que la responsabilité incombe en fait à l’Etat français, c’est à dire au régime de Vichy, alors que la France était à Londres – ainsi que dans ces familles françaises qui ont sauvé nombre d’enfants juifs aurait-elle pu ajouter – et citer de Gaulle et Mitterrand, ainsi que Chevènement et Guaino, Macron a l’incroyable impudence de lui ordonner : “laissez le général de Gaulle tranquille, vraiment”, comme s’il en avait le copyright exclusif, avant d’asséner : “C’est faux sur le plan historique, c’est faux sur le plan politique”. Et là il est à nouveau pris en flagrant délit de méconnaissance historique et de travestissement des faits : si c’est évidemment vrai sur le plan politique, et la déclaration de Chirac en 1995 est éminemment politique, c’est faux sur le plan historique. Car cette rafle des 16 et 17 juillet 1942 à Paris et en banlieue a bien été perpétrée par l’Etat français, c’est à dire par le régime de Vichy, répondant à une demande de l’occupant nazi, et elle a été réalisée sur ordre par la police parisienne et la gendarmerie visant les Juifs étrangers. Mais revenons à Olivier Mazerolle, qui pose la question à Marine Le Pen. Il était déjà directeur de l’information à RTL lorsque le 13 septembre 1987 interrogé au même Grand Jury par le journaliste Jacques Esnous, Jean-Marie Le Pen déclare : “Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu, moi-même, en voir. Je n’ai pas spécialement étudié la question. Mais je crois que c’est un point de détail de la seconde guerre mondiale”.

Deux années après le remarquable travail de Claude Lanzmann recueillant notamment les témoignages des kapos juifs survivants sur l’industrie de la mort nazie dans son film Shoah, ces propos font scandale. Travail qui cependant aurait mérité de se pencher plus sur la situation de la population polonaise, comme en général sur la situation des populations slaves dans le régime racialiste nazi, nécessaire travail de mémoire qui permettrait à tous les anti-russes patentés du moment de voir quelles étranges complicités sont les leurs. Et l’on trouvera l’ultime anneau de la chaîne de diabolisation de la candidature de Marine Le Pen en 2017 dans l’interview de Jean-Marie Le Pen par Jean-Jacques Bourdin le 2 avril 2014, au lendemain de cantonales qui ont vu une montée significative du Front national, où, citant sans sourciller le maire de Nîmes, un ancien publicitaire, selon lequel “cette progression est dangereuse, l’Allemagne nazie a commencé comme ça”, il demande à Le Pen : “Votre carrière politique est déjà longue, quand vous avez parlé de “point de détail”, est-ce que vous avez regretté à un moment ou à un autre ?” L’autre campant sur ses positions, il s’est trouvé exclu du Front national.

Apparemment cela n’a pas suffi aux directeurs de conscience dont Macron se fait le porte-voix et l’accusateur public. Rôle que son ignorance de l’histoire, nous l’avons vu, lui permet d’endosser sans difficulté. On peut cependant se poser la question de la liberté avec laquelle il se croit bénéficiaire d’un droit d’inventaire sur la mémoire de la France. Ou plutôt sur celle de IIIème république, celle de Jules Ferry, promoteur de la colonisation, ce que Macron rappelle en Algérie en invoquant que “la France a installé les droits de l’homme en Algérie, simplement elle a oublié de les lire”. La IIIème république, c’est aussi celle qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, et dont bon nombre de représentants ont participé à la collaboration politique et économique sous l’occupation. Lorsque Chirac fait son discours du 16 juillet 1995, une fois levée l’hypothèque Mitterrand, qui mourra quelques mois plus tard, ce petit-fils d’un vénérable d’une loge du Grand-Orient pose ainsi les bases d’un nouveau pacte, succédant à l’entente nouée au sortir de la guerre et de la collaboration par ceux qui, comme Mitterrand lui-même, les ont traversées de diverses manières. Remarquons qu’outre la camarilla socialiste, bon nombre de dignitaires de la chiraquie sont aux côtés de Macron, comme Jean-Paul Delevoye ou Frédéric Salat-Baroux. Et maintenant que la brèche est ouverte, il convient désormais que tous les points obscurs de la mémoire française soient ainsi mis en lumière, pour permettre un véritable avenir. Pas cette mémoire falsifiée enseignée par une école dont Macron est le produit type.

Car des maladresses et des erreurs, ce pur produit de la post-modernité en commet un certain nombre que, dans une surprenante indulgence, la presse aux ordres relève peu : “l’île de la Guyanne”, “Villeurbanne dans la région lilloise”, les “alcooliques” du bassin minier et les “illettrées” de Gad, sans parler de l’absence de culture et d’art français. A quoi il faut ajouter une erreur monumentale dans l’entretien à Mediapart : Macron y prétend en effet que l’armée française est “la deuxième armée du monde” (6), sans doute après celle des Etats-Unis, ignorant les armées russe, chinoise et britannique, ce qui pour un chef des armées dirigeant la politique extérieure de la France est plutôt inquiétant. Quant à la sécurité, sa proposition de permettre à la police de verbaliser les délinquants pour des délits pénaux ou d’interdire aux caïds les gares et les supermarchés, a tout simplement fait rigoler Le Pen, plus au courant des réalités de terrain. Reste donc son domaine de compétence privilégié, l’économie, qui lui a permis de la regarder de haut tout au long du débat.

Le Pen commence par présenter son projet d’Alliance des nations libres et souveraines, qu’elle oppose à l’Europe fédérale que, dit-elle, Macron voudrait instaurer sauf à ce que l’euro meurt dans les dix années qui viennent. Lequel la regarde ironiquement s’enferrer dans ses explications embarrassées sur les moyens d’y parvenir, soumis à referendum, ne paraissant pas y croire elle-même, allant jusqu’à marchander le délai de réalisation de ce referendum, qu’elle fixe d’abord à six mois puis, quand Nathalie Saint-Cricq lui suggère dix-huit mois, qu’elle concéde à dix mois, après en avoir annoncé un premier sur la réforme de la constitution dès septembre. Comment croire un instant en la faisabilité d’un tel agenda ? Et elle nous fait grâce d’un des arguments qu’elle avait utilisé jusque-là : son départ en cas de refus des résultats auxquels elle serait parvenue dans la négociation, alors qu’il serait plus simple de proposer aux électeurs un engagement clair dès le scrutin présidentiel. Mais il est vrai que les Français, s’ils ont majoritairement voté non au referendum constitutionnel de 2005, ont voté Maastricht en 1992, et restent majoritairement favorable au maintien de l’euro. Sans doute par absence de débats dans un pays souffrant d’un verrouillage idéologique de type totalitaire, ainsi que par peur du saut dans l’inconnu, raison supplémentaire pour elle d’être claire et pédagogique sur cet élément essentiel du débat. Mais il est évident qu’à ce moment-là de sa campagne, Marine Le Pen sait qu’elle va perdre, que la dynamique qu’elle a réussi à lui insuffler a été brisée.

En effet trois jours auparavant, Nicolas Dupont-Aignan, dirigeant de la petite formation souverainiste Debout la France qui, profitant de la disgrâce de Fillon, a fait près de cinq pour cents des voix au premier tour, s’allie à Marine Le Pen. Ce gaulliste social, tel qu’il se définit, qui a quitté l’UMP voici dix ans, précisément après que Sarkozy ait fait voter par le parlement une constitution européenne majoritairement rejetée par les Français deux ans auparavant, permet au Front national de sortir du désert. Marine Le Pen le désigne comme son futur premier ministre et le lendemain, un meeting bondé à Villepinte consacre l’alliance qui se trouve créditée de plus de quarante pour cent des voix. Sur quoi cette alliance repose-t-elle précisément ? Le fait est que lors du débat trois jours après, Marine Le Pen se définit alors comme européenne et, pour la période transitoire qui devrait conduite à la fin de la monnaie unique, elle propose une double monnaie : le franc pour les particuliers et une monnaie commune, l’euro ou l’ecu, pour les entreprises et les transactions internationales. C’est là que l’économiste Macron révèle ses talents, l’interrogeant minutieusement, exemples à l’appui, sur le fonctionnement concret de ces deux monnaies, ce dont elle s’avère incapable. Lui alors de se gausser du “bidouillage que vous avez fait dans le week-end avec Monsieur Dupont-Aignan (qui) n’a aucun sens et (qui) d’ailleurs manifeste une impréparation crasse”, à quoi il oppose sa “vision de construire un euro fort”.

L’économiste Jacques Sapir, qui a participé au meeting de lancement de la campagne de Dupont-Aignan (7), dans un article publié sur son blog dès le 5 mai, fait alors porter la responsabilité de la défaite annoncée en grande partie à Le Pen, qui “s’est révélée incapable de porter son programme”, bien qu’elle ait “dit avoir écouté les économistes sur de nombreuses questions, de l’euro à la mondialisation, mais à l’évidence elle ne les a pas entendus ni compris” (8). Le coup de grâce avait cependant sans doute déjà été donné l’avant-veille du débat par la très populaire Marion Maréchal-Le-Pen, la déjà ancienne députée du Vaucluse qui, par deux fois le 1er mai, avait déclaré que les négociations sur la sortie de l’euro ne débuteraient pas avant 2018, après les élections italiennes, et qu’elles dureraient plusieurs années, court-circuitant ainsi la candidate de son parti qui elle avait martelé vouloir entreprendre les négociations dès le lendemain de son élection, sanctionnées par un référendum dans les six mois.

Marine Le Pen marque cependant un dernier point contre Emmanuel Macron lorsque celui-ci prétend que le chômage était plus important avant l’euro et qu'”il y a beaucoup de pays qui s’en sortent très bien dans l’euro” et “des pays qui vont mal hors de l’euro”, alors qu’il suffit de regarder une courbe du chômage, comme en montre une Sapir dans l’article cité, pour constater que c’est faux. Ce qui atteste en fait l’engagement idéologique de Macron, bien qu’il se présente comme un pragmatique. Et l’on peut craindre le pire à partir du lundi 15 mai, où il va rencontrer la chancelière Merkell, pour négocier “avec elle” et non pas “face à elle” comme il l’a souligné dans la campagne, à commencer par la directive des travailleurs détachés, qui impose une concurrence déloyale et un dumping social à l’intérieur de l’Union européenne. Laquelle, conformément aux voeux d’Attali, qui a de la suite dans les idées, devrait marcher à grands pas vers une fédéralisation “que nous ont proposée déjà par deux fois les Allemands”, s’est-il désolé auprès de Claire Chazal sur France Infos le 13 mai, plaçant tous ses espoirs dans le nouveau gouvernement, “qui a l’air de vouloir agir, j’espère qu’il va agir”.

Il devrait en effet agir, et vite. Après avoir explosé le parti socialiste peut-être le tour des Républicains va-t-il venir pour la création d’un Grand Parti Unique, rejetant aux deux extrêmes le repreneur d’usines en faillite Mélenchon et un Front national divisé entre libéraux euro-compatibles et colbertistes. Parti unique qu’a dénoncé Bayrou, l’éternel cocu de l’histoire, non sans une lucidité peu relayée par une presse courtisane, lui qui avait pourtant apporté une dynamique essentielle à la campagne de Macron, qui le paye maintenant d’ingratitude en ne lui laissant qu’une portion congrue dans les investitures aux législatives. Le Joker Macron, une fois les coudées franches avec un parti unique à sa botte lui donnant une majorité absolue à l’assemblée, et sacré “monarque républicain” dans une cérémonie au Louvre frisant le ridicule, va-t-il donc être le Trump, le dernier atout d’un système qui sait bien que sa vie est comptée ? Ou va-t-il être amené à jouer un jeu imprévu dans un monde où, à Pékin, le jour même de son investiture, se tient un Forum consacré au projet chinois “Une ceinture – Une voie” ? Y participent en effet une trentaine de chefs d’Etat et une centaine de pays, pour décider le projet de six corridors de transport maritimes et terrestres unifiant le continent eurasiatique. Un projet qui concerne trois milliards d’habitants pour un investissement de 21 trillons de dollars. Le Joker du système ferait en effet bien de réfléchir à l’avertissement donné par le président russe Vladimir Poutine à cette occasion : “Les risques de fragmentation de l’économie globale et de l’espace technologique sont toujours plus évidents. Le protectionnisme devient la norme, et les tentatives de le limiter par des méthodes camouflées s’avèrent unilatérales et illégitimes” (9).

Frédéric Saillot, le 14 mai 2017.

(1) Intérêt Général, Résistance et Prospective, “groupe informel de recherches et d’information d’intérêt citoyen”.
(2) https://m.youtube.com/watch?v=MeOq-gUG_BA
(3) https://www.youtube.com/watch?v=i5aqL7FBxyI
(4) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028933611
(5) https://m.youtube.com/watch?v=JZXILHcryOE
(6) à 3 h 00′ 10″ de la video : https://m.youtube.com/watch?v=MeOq-gUG_BA
(7) https://www.youtube.com/playlist?list=PL9Fa29olRAo00BqttSyByMI-jIjIiaymk
(8) http://russeurope.hypotheses.org/5980
(9) https://ria.ru/economy/20170514/1494251633.html