Comment expliquer ces luttes soudaines et violentes qui éclatent dans l’arène politique, ces révélations tombant à point nommé pour ébranler la statue de l’adversaire ? A vrai dire, les mobiles des cabales n’ont en général rien de particulièrement honorable si bien que le public en est généralement maintenu soigneusement à l’écart, surtout s’il se pique de vouloir comprendre. A lui de voir l’habit mais non la façon dont il est fait. Son rôle est bien de demeurer souriant et ingénu tandis que d’habiles propagandistes tournent à leur gré les évènements, puis manœuvrent l’opinion avec adresse.
Quelles sont les raisons des exécutions politiques ?
La jalousie, monstre qui se moque de la victime dont il se nourrit, constitue le premier mobile. Lors de l’échec de la conjuration de Pison contre Néron en 65 après J-C, Tacite attribua le soulèvement à des rancœurs personnelles. C’est le cas du poète Lucain qui se plaignait de ce que Néron lui interdise de publier ses œuvres. En rentrant de la somptueuse fête organisée par Nicolas Fouquet, Louis XIV n’aurait il pas déclaré à Anne d’Autriche dans le carrosse qui le ramenait à Versailles : « Ah, madame, est-ce que nous ne ferons pas rendre gorge à tous ces gens-là ? ». Le second mobile puissant des cabales est l’envie, peinte en 1303, par Giotto dans son allégorie des vices comme une vieille femme serrant une bourse et dont un serpent, sortant de sa bouche, se retourne contre elle. Evoquant la conjuration de Catilina (63. Avant J-C), Salluste donne la liste nominale des principaux conspirateurs et ajoute « faisaient encore partie du complot, mais un peu plus secrètement, un certain nombre de nobles qu’entraînait plutôt l’espérance du pouvoir ». Le troisième mobile, plus mystérieux, est le caractère intolérable des personnages politiques vertueux pour ceux qui sont habitués aux compromissions du pouvoir. Corrompre la vertu devient alors leur mot d’ordre. Pensons à Bonaparte, qui avait vu le parti à tirer de l’exécution sommaire d’un Prince de sang royal. Le cadavre d’un Bourbon sera la première marche du trône.
Comment faire tomber un adversaire politique ?
Dans son célèbre ouvrage Propagande, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, écrit : « La manipulation consciente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société́ démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays ». Une exécution politique se déroule par conséquent en trois actes : une fois l’opinion déstabilisée par des rumeurs, il devient plus facile de mettre un adversaire en accusation puis de le faire tomber. Lorsque le pouvoir manque de preuves, il se rapporte d’ailleurs à ces bruits de fond. Philippe le Bel, n’y fait il pas référence lors de sa justification publique de l’arrestation des templiers. Thomas More lui même se voit l’objet des plus mensongères imputations. Ces calomnies, œuvres des émissaires du prince, devaient être bientôt suivies d’atroces persécutions. Très souvent, les rumeurs sont télécommandées à distance. Ainsi La Morlière recevait des indemnités de Voltaire. Il avait son quartier général au café Procope et y recrutait sa troupe, composée de volontaires et de soudoyés. Il annonçait d’avance le succès ou la chute de la pièce qu’on allait jouer, et, pendant la représentation, il donnait le signal des applaudissements ou des murmures. Pour attaquer de front, toute une série de procédés sont à disposition. Le premier consiste à forger de fausses preuves. L’idée de détruire l’ordre du Temple était déjà présente dans l’esprit du Roi Philippe IV le Bel, mais ce dernier manquait de preuves afin d’entamer la procédure judiciaire. Ce fut chose faite grâce à un atout majeur déniché par Guillaume de Nogaret en la personne d’un ancien templier renégat : Esquieu de Floyran. De même, lors de l’arrestation de Fouquet, des courtisans inventèrent de prétendues lettres d’amour adressées à Fouquet par des femmes de la cour, dont on citait les noms. Recueillies avec avidité, conservées par les collecteurs de pièces, ces lettres, inventées ou falsifiées, sont parvenues jusqu’à nous.
L’accusation de corruption, une très ancienne ficelle
Viennent ensuite l’accusation si efficace de corruption. Pierre de Rémy est arrêté pour concussion, en réalité sans doute pour offrir un bouc-émissaire à l’opinion publique. Après enquête, il est convaincu d’avoir détourné d’importantes sommes d’argent et donc d’avoir volé le roi. Torturé, il avoue finalement sa culpabilité. Il comparaît devant le Parlement de Paris pour être condamné à mort. Thomas More est accusé à tort d’avoir accepté des pots-de-vin, mais en l’absence de toute preuve, ces charges sont rapidement abandonnées. Le 5 septembre 1661, Louis XIV ordonne à d’Artagnan d’arrêter le surintendant pour malversations. A la barre du tribunal révolutionnaire, Camille Desmoulins est accusé d’avoir secondé de tout son pouvoir les espérances des Compagnies financières. Il voulait aussi, dit le rapport, se partager le produit de leurs rapines, et disait, en cette occasion, qu’il ne concevait pas comment, en France, on ne gagnait pas d’argent, parce que lui, Desmoulins, parmi une foule de moyens qui se présentaient à son esprit, n’était embarrassé que du choix. L’accusation de corruption fait donc mouvoir les multitudes et permet de faire tomber facilement l’accusé s’il se défend maladroitement.
Les exécutions manquées
La durée de la procédure judiciaire est essentielle. Ce dernier ne doit être ni trop court ni trop long. Pour Nicolas Fouquet, l’instruction est ouverte le 3 mars 1662. Dès lors, la procédure s’embourbe. Les interrogatoires débutent le 4 mars, alors que Fouquet n’a pas connaissance des pièces saisies et qu’aucun acte de procédure ne lui a été notifié. Après trois ans d’audience pendant lesquels les avocats de Fouquet ont produit plus de dix volumes in-folio de mémoires en défense, la Chambre de justice reconnaît le 21 décembre 1664 Nicolas Fouquet coupable de péculat, crime pour lequel les ordonnances prévoient la mort. A l’inverse, un procès trop expéditif est hautement préjudiciable à ses commanditaires. C’est le cas du simulacre judiciaire qui couvre l’assassinat du Duc d’Enghien. Le théâtre judiciaire peut être l’occasion à l’accusé de renverser la faveur à son profit. L’on connaît les répliques cinglantes de Danton aux membres du tribunal. Accusé de corruption il rétorque : « moi vendu? Un homme de ma trempe est impayable! La preuve? Que l’Accusateur, qui m’accuse d’après la Convention, administre la preuve, les semi-preuves, les indices de ma vénalité!»[1]. Il s’étonne d’ailleurs de cette accusation à point nommé : « C’est une chose bien étrange que l’aveuglement de la Convention nationale, jusqu’à ce jour, sur mon compte, c’est une chose vraiment miraculeuse que son illumination subite ! ». Pourtant Danton est condamné d’avance, non pour ses crimes réels d’ailleurs mais sur des accusations imaginaires. Certaines contre-attaques – menées cette fois au sein de l’arène politique et avant toute arrestation – sont réussies. Violemment pris à parti, Cicéron révèle que Catilina prépare un soulèvement en Étrurie. Il ajoute que, pendant la nuit qui précède, des conjurés ont tenté de l’assassiner à son domicile. Il parvient à convaincre le Sénat de prendre des mesures. Mais Cicéron craint que Rome ne soit prise de troubles. Cicéron n’aurait jamais pu réussir à retourner l’opinion sans son génie littéraire : « Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur? Jusqu’ où s’emportera ton audace effrénée? Quoi! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les forces répandues dans toute la ville, ni la consternation du peuple, ni ce concours de tous les bons citoyens, ni le lieu fortifié choisi pour cette assemblée, ni les regards indignés de tous les sénateurs, rien n’a pu t’ébranler! Tu ne vois pas que tes projets sont découverts?
Laissons à François Guizot le mot de la fin : « Hors des factions, il n’est presque personne aujourd’hui qui, après une exécution politique, croie la paix publique mieux garantie et le gouvernement lui-même plus sûr ; personne qui n’ait au contraire moins de confiance dans la force du pouvoir comme dans l’avenir de la société ».
Thomas Flichy de La Neuville, le 9 février 2017
[1] J.F.E Chardoillet, Notes de Topino-Lebrun sur le procès de Danton, Paris, 1875, p. 17
Cet article présente l’ouvrage “Exécutions politiques, toutes ne réussissent pas”, que Thomas Flichy va publier le 14 février prochain aux éditions DMM.