A la veille du second tour des élections régionales le 13 décembre, un mois jour pour jour après les massacres de novembre, le petit jeune-homme énervé qui tient lieu de premier ministre au gouvernement de la France, au lieu de s’occuper de ses dossiers, et notamment de celui de la sécurité, ou de celui du chômage – passé inaperçu au profit du premier mais qui vient à nouveau d’exploser – entre en campagne sur les ondes de la radio gouvernementale et déclare que “l’extrême-droite”, comme il s’évertue à qualifier le Front national, “prône la division (qui) peut conduire à la guerre civile”. A cela il oppose une politique de “rassemblement”, comme il a commencé à le faire dès le lendemain de l’électrochoc attendu du premier tour, n’hésitant pas à imposer le désistement au candidat socialiste de PACA, arrivé en troisième position, au profit d’un Estrosi quasi déboulonné par la jeune Marion Maréchal, et usant de procédés coercitifs et diffamatoires à l’égard du candidat socialiste de la région Grand Est, lequel lui a donné une leçon de démocratie en acceptant le verdict du suffrage universel et en maintenant la possibilité d’une opposition au Conseil régional, et donc du débat démocratique. Quant au candidat sortant de la région Nord-Pas-de-Calais, en aussi piètre posture, il n’a pas été utile que Valls use de la menace : il a lui même offert ses voix à un Bertrand, plus onctueux et consensuel que jamais, arguant de la nécessité de ce suicide politique sur les terres historiques du socialisme à la française pour contrer l’élection de la présidente du Front national, réunissant elle aussi plus de 40 % des suffrages.
Le même jour, le très sectaire et pourtant président de l’assemblée nationale Bartolone, au propos affiché par sa challenger Pécresse : “Nous ne voulons pas devenir la Seine-Saint-Denis de Bartolone”, fait mine de ne pas voir qu’il s’agit là de la dénonciation d’un système quasi-mafieux et lui oppose : ” Se rend-elle compte de l’opprobre qu’elle jette sur un million et demi d’habitants ?”, avant de conclure : “Avec un discours comme celui-là, c’est Versailles, Neuilly et la race blanche qu’elle défend en creux”. Très nettement battu au second tour, c’est d’ailleurs à l’hôpital américain de Neuilly qu’il est allé faire soigner sa soudaine baisse de forme, paradoxe récurrents chez nos socialistes, plus proches des oeufs d’esturgeons que de la France qui souffre.
Ces deux tristes personnages, qui plus est parmi les premiers de l’Etat, n’en sont pas moins comptables devant les tribunaux, l’un pour apologie du terrorisme – car comment appeler autrement une menace de guerre civile au cas où un parti autorisé légalement à participer à des élections démocratiques obtiendrait une majorité de suffrages ? – l’autre pour incitation à la haine raciale. En attendant qu’ils puissent s’expliquer devant qui de droit, il est donc urgent qu’ils soient l’un descendu de son perchoir, l’autre renvoyé à sa circonscription de l’Essonne pour y reprendre contact avec les réalités du terrain.
Car il est inadmissible qu’il se soit exprimé ainsi, à un moment où il est clair que précisément l’Etat islamique cherche à diviser la société française et à initier une spirale de radicalisation chez les citoyens de confession ou de culture musulmane. Tout comme il est tout à fait inadmissible, que le piètre journaliste Bourdin, plus à la recherche du sensationnel pour obtenir de l’audience qu’à celle d’une vérité qui participe au bien commun, lui ait emboîté le pas le 16 décembre au matin sur BFM (2), construisant toute son émission sur un parallèle scandaleux entre l’Etat islamique et le Front national. Est-il nécessaire de rappeler que celui-là est considéré comme une organisation terroriste qu’il convient d’éradiquer par le Conseil de sécurité de l’ONU quand celui-ci est un parti politique légalement admis à participer à la vie politique d’un Etat dont la constitution se réclame des principes démocratiques ? Il y a là une confusion des esprits à laquelle Kepel, prof à Science po, plus soucieux de faire lui aussi ce matin-là la promotion de son dernier ouvrage (3), a participé de façon opportuniste. Si ces messieurs sont dans le vrai, alors dans la situation actuelle, il faut d’urgence prendre des mesures pour interdire un parti qui, dans le contexte actuel, risquerait de mener à la guerre civile. Mais en fait ce sont eux – représentatifs de toute cette classe politique, médiatique et “intellectuelle” qui, disposant de l’industrie de com, a entrepris un véritable lavage de cerveau de la société française entre les deux tours – qui divisent la société française en distribuant des anathèmes, voilant la réalité du danger par un relativisme trompeur.
Revenons cependant à la séquence qui fait déraper Valls de la “guerre contre le terrorisme”, comme il le pérore au lendemain des massacres de janvier, ou de la “guerre implacable” contre l’Etat islamique, telle qu’il la déclare solennellement une douzaine de jours après ceux de novembre, à la menace d’une guerre civile en France. Faisant de lui le meilleur auxiliaire des stratèges dudit Etat islamique.
Remarquons que le mot guerre, dans le sens d’une éventualité à laquelle la France serait exposée, comme l’a relevé un observateur sagace, a été prononcé une première fois par le président Hollande lors de son interview devant la tombe du soldat inconnu, à l’occasion de la cérémonie du 11 novembre à laquelle, exceptionnellement depuis le début du mandat de son adversaire, s’était joint l’ex-président Sarkozy, rentré de Moscou quinze jours auparavant. Rappelons qu’il y avait amorcé un rapprochement entre la France et la Russie sur le dossier syrien (4), plus partagé par Hollande que par son converti à un néoconservatisme prosélyte de ministre des Affaires étrangères (5). Deux jours après ont lieu les massacres de la jeunesse parisienne, mettant un coup d’arrêt à ce rapprochement, malgré la vaine tentative hollandaise de former une coalition internationale inclusive (6), irruption de l’innommable dans une société certes déjà touchée par les attentats de janvier, mais là brutalement précipitée dans la tragique réalité de ce que peuvent vivre quasi-quotidiennement les sociétés moyen-orientales ou africaines.
Ce 11 novembre, un Hollande très consensuel gratifie Sarkozy, placé protocolairement à côté du ministre de la Défense, d’un brève poignée de main. Prônant déjà, dans la syntaxe confuse qui est la sienne, le “rassemblement (…) par rapport (aux) valeurs de la république”, il prend date pour négocier un virage à 180 degrés en politique extérieure, comme cela avait été le cas sur le dossier ukrainien, sous-tendant celui des sanctions, juste avant les massacres de janvier. L’histoire se répète alors, plus sanglante et plus tragique, provoquant – ce que recherchaient sans doute aussi les stratèges de l’EI par le choix d’une date quinze jours avant des élections – un succès du Front national au premier tour plus ample que celui annoncé auparavant. Une fois ce succcès tempéré par l’absence de gains de présidences régionales au second tour, malgré un apport de près de 800 000 voix supplémentaires, grâce à la mise en place d’une politique de “rassemblement”, mise en oeuvre notamment par les réseaux occultes qui verrouillent la société française, Hollande fait un second discours, référé lui aussi à la 1ère guerre mondiale, s’affichant alors aux côtés d’un Bertrand frétillant, principal bénéficiaire des très démocratiques désistements de la gauche, “pour faire barrage au Front national”.
Mais là il ne s’agit plus de rassembler : au-delà du FN, c’est la stratégie de Sarkozy qui est visée, de refus du “front républicain”, pour conserver un espace entre le conglomérat centriste en voix de coagulation et le Front national, stratégie contestée par ceux qui sont allés à la soupe ou par la très bourgeoise Kosciuszko, qui se donne tant de mal pour faire peuple, appuyée en sous-main par le vieux cheval de retour post-chiraquien, Juppé. Hollande se positionne ainsi comme meilleur candidat pour défendre les intérêts de l’oligarchie aux présidentielles de 2017, menacés par le programme du Front national. Et ce jour-là il n’est plus question d’un armistice en forme de victoire, que fête le 11 novembre, mais de “fraternisation” dont la symbolique, dans le contexte actuel, ressemble plus à une capitulation devant l’ennemi, après les rodomontades d’immédiat post-attentats.
Ce faisant, Hollande signe le passage que vient de connaître le système politique français entre le tripartisme qu’ont récemment imposé les progrès du Front national et ce qu’il faut bien reconnaître comme un nouveau bipartisme : non plus entre ce qu’il était convenu de nommer jusque-là la “doite” et la “gauche”, mais entre un “centre”, potentiellement extrémiste et totalitaire par refus, et par tous les moyens, d’une alternance, et un parti qui a su évoluer vers la prise en charge de la défense des intérêts de la nation et de la démocratie, abandonnés par les autres au profit de ceux de l’oligarchie mondialiste. Et observons que ce passage, signe du bouleversement tellurique qui vient de bouleverser la société française, a été extrêmement rapide.
Il est réalisé dans la semaine qui sépare les deux tours, l’industrie lourde de la com officielle d’un régime désormais en crise, car c’est bien de cela qu’il s’agit, impose alors une véritable chape médiatique sur la société française, où il ne sera plus question que de diabolisation d’un Front national, il est vrai en manque de cadres nationaux, tous investis dans les régions, quasiment absent des plateaux. Signe que le Front national n’est plus un parti d’extrême-droite, ni même maintenant un parti de droite, le président du MEDEF Gattaz met en garde contre son programme économique en déclarant qu’il, “(lui) rappelle étrangement le programme commun de la gauche de 1981”. Et selon le publiciste Victor Loupan, ancien soutien de Chevènement, “ce que Chevènement n’a pas réussi en 2002, le Front national de Philippot est en train de le réussir” (7).
Ce qui ressemble fort à un replâtrage d’urgence pour sauver les meubles a-t-il cependant les chances de réussir d’ici 2017 ? Des sondages d’immédiat après régionales, ayant tendance à fixer la vision subjective donnée par les résultats, le laissent penser.
Mais la douloureuse réalité, une fois la bulle médiatique éclatée, s’impose. Et ce n’est pas un Raffarin en belle chemise blanche de promoteur de la société universelle – dixit Guaino sur LCP – aux côtés d’un Valls soudain radieux, pour former “un pacte républicain contre le chômage”, qui va changer quoi que ce soit à une situation qui dure depuis des décennies, et qu’il n’a contribué qu’à empirer alors qu’il était premier ministre, faisant passer le chômage des jeunes de 17% en 2002 à 22,2 % en 2006. Surtout que sa proposition se situe dans la sphère des appareils et obédiences divers, négligeant l’Assemblée nationale où elle devrait être débattue, dans une tradition bien française de discussions en cénacles, avalisées par la représentation nationale dont le rôle se limite à cela. Ni non plus les gesticulations de l’escroc Tapie qui, condamné à rebourser 404 millions d’euros, voudrait faire retour en politique pour lui aussi “faire barrage au Front national” en réglant le problème du chômage des jeunes, actuellement à 24,1 %, “plus nombreux à voter FN”.
La réalité, c’est aussi l’Etat islamique toujours plus menaçant, sur le point d’être éradiqué en Syrie grâce à l’intervention aérienne russe – qui fait le travail, en appui aux forces loyalistes de l’Etat syrien, reprenant peu à peu le contrôle des principales villes – mais plus profondément implanté en Irak, où il est dirigé par d’anciens cadres du gouvernement de Saddam Hussein, et étendant désormais ses métastases en Afghanistan, en Libye et dans tout le Maghreb, où il compte de nombreux alliés. Des observateurs bien informés annoncent des attaques sur l’Île de Malte au printemps prochain, à quelques encablures de la côte libyenne en grande partie tenue par l’EI, place forte à partir de laquelle l’Italie serait menacée, et toute l’Europe occidentale.
La statégie de tension à l’intérieur de la société française va se poursuivre : selon les mêmes observateurs, les écoles sont la prochaine cible et à Dieu ne plaise qu’une de nos écoles connaisse le même sort que celui de l’école de Beslan le 1er septembre 2004.
C’est le moment choisi par l’actuelle majorité, une fois les élections passées, pour revenir sur un certain nombre de dispositions annoncées à la hâte au lendemain des attentats, prises non sans arrières-pensées sur le programme du Front national : comme la déchéance de nationalité pour terrorisme, ou même l’état d’urgence, dont l’absence en Belgique a permis au tueur du 13 novembre Abdeslam de s’échapper alors que sa planque était assiégée par des forces de l’ordre en dehors des heures légales pour y entrer l’arrêter.
La guerre assymétrique dans laquelle nous sommes désormais entrés, a ceci de particulier, qu’en dehors des attentats la vie normale reprend son cours, permettant la reprise du discours négationniste de l’excuse, dominant dans le système médiatico-politique.
Interrogé par Pujadas au lendemain des attentats le juge Trévidic (8), au pôle antiterroriste entre 2000 et 2015, révèle que rien n’a été fait pendant 10 ans pour traiter les causes de la montée exponentielle du terrorisme depuis les guerres d’Irak : la radicalisation en milieu carcéral et la propagande sur internet. “On se met brusquement à traiter maintenant le phénomène de la radicalisation qui s’est produit sur 10 ans, révèle-t-il désabusé, alors que l’essentiel c’est de lutter contre l’idéologie salafiste”. “Il faut être carré et droit dans ses bottes, poursuit-il, et c’est notre ambiguïté, celle des sociétés modernes : on est copains avec des gens qui ont des idéologies très proches, le wahabisme (de l’Arabie saoudite) a diffusé cette idéologie sur toute la planète depuis le conflit en Afghanistan depuis 79. Est-ce qu’on est copains avec eux parce que c’est un partenaire économique ? La politique américaine, vous savez ce que c’est ? C’est : on adore les fondamentalistes religieux s’ils sont libéraux économiquement, c’est comme ça depuis des années, c’est leur credo”. Mieux inspiré que chez Bourdin, dans une interview au Temps (9), Kepel dénonce “l’université française qui a détruit complètement les études arabes au moment même où Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu déclenchant la révolte arabe, et à nos dirigeants”. Et, précise-t-il au journal suisse, “dans mon livre (3), je fais une critique au vitriol de la façon dont nos élites politiques conçoivent la nation. La France – peut-être pour un Suisse cela apparaît-il de façon claire – est gangrenée par une haute fonction publique omnisciente et inculte qui méprise l’université, notamment les études qui sont dans mon domaine. Donc on a abouti à ce à quoi on a abouti… Le monde du renseignement s’est endormi sur ses lauriers après s’être débarrassé de Kelkal (Ndlr, terroriste d’origine algérienne qui a commis plusieurs attentats en France avant d’être abattu par la police fin 1995), jusqu’à Merah, et finalement il n’a pas compris le passage au djihadisme de 3e génération. Il y a aussi une incapacité à comprendre ce qui se noue dans la sédentarisation de l’islam de France, ses acteurs, le jeu des élus avec le salafisme pour avoir la paix sociale. C’est l’incapacité globale de notre élite politique”.
Les promoteurs du “front républicain ” contre le Front national pourraient donc bien s’avérer des apprentis sorciers, des musiciens de Brême qui mènent la France droit au précipice, car la coupure n’est pas entre le Front national et les autres partis, mais entre les Français, musulmans compris, et l’islamisme, qui doit être combattu avec détermination à l’intérieur comme à l’extérieur.
Dans son discours au soir du second tour (10), Marine Le Pen, entrant d’emblée dans la campagne des présidentielles de 2017, a clairement situé l’enjeu, l’alternative telle qu’elle se présente dans le système bipartiste issu des élections régionales : “Maintenant le clivage ne sépare plus gauche et droite, a-t-elle souligné, mais mondialistes et patriotes : les mondialistes, militant pour la dilution de la France et de son peuple dans un grand magma mondial, les patriotes, qui croient que la nation constitue l’espace le plus protecteur pour les Français, c’est-à-dire pour chacun d’entre vous. Cette distinction sera le grand enjeu, le grand choix politique des présidentielles”. Comme nous l’avons écrit dès le lendemain des attentats de janvier (11), c’est là la raison de la diabolisation de Front national comme de tous ceux qui s’opposent au projet mondialiste.
Et ces élections, si Mélenchon prend la mesure de son échec pour réorienter son projet, et si Dupont Aignan, Mariani et Cie, prennent celle de la fracture qui désormais réduit une aile des Républicains à rejoindre le “rassemblement” et l’autre à risquer de se voir réduite à peau de chagrin, pourraient bien être la revanche du référendum de mai 2005, où les Français avaient rejeté le projet mondialiste de constitution européenne à une majorité de 54,68 % des voix. Victoire alors confisquée par la manipulation de Sarkozy au lendemain de son élection à la présidence de la république, avec l’accord tacite du PS, droite et gauche déjà rassemblées pour cette confiscation de la démocratie.
Frédéric Saillot, le 20 décembre 2015.
(1) http://www.elysee.fr/videos/ceremonie-militaire-a-l-arc-de-triomphe-interview-du-president/
(2) http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/gilles-kepel-face-a-jean-jacques-bourdin-en-direct-720043.html
(3) Terreur dans l’hexagone, de Gilles Kepel et Antoine Jardin, Gallimard
(4) http://www.eurasiexpress.fr/a-moscou-sarkozy-entre-en-campagne-pour-un-nouvel-ordre-mondial/
(5) http://www.eurasiexpress.fr/le-maidi-21-neo-conservateur-de-laurent-fabius/
(6) http://www.eurasiexpress.fr/lavion-du-jugement-dernier/
(7) http://radionotredame.net/player/http://radionotredame.net/wp-content/uploads/podcasts/le-debat-de-la-semaine/le-debat-de-la-semaine-18-12-2015.mp3
(8) http://www.tuxboard.com/verites-ancien-juge-anti-terroriste-attentats-paris/
(9) http://www.letemps.ch/monde/2015/11/26/gilles-kepel-13-novembre-resultat-une-faillite-elites-politiques-francaises
(10) http://www.frontnational.com/videos/discours-de-marine-le-pen-a-lissue-du-second-tour-des-regionales-2015/
(11) http://www.eurasiexpress.fr/massacre-de-charlie-hebdo-a-qui-profite-le-crime/