L’afFront national.
Curieuse marche d’« union nationale », dont le premier pas a consisté à ostraciser la représentante de l’un des trois partis qui recueillent le plus de voix aux élections ! Le Front National ne serait-il pas … national ? Les citoyens que Marine Le Pen représente sont-ils suspects de connivence avec les fanatiquesislamistes auteurs des attentats ? Il est difficile de mesurer dès maintenant l’impact à venir de cette gaffe (ou de cette faute, selon les opinions), mais gageons qu’il sera lourd.
Cette faute (ou cette gaffe, si l’on veut être indulgent !) est d’autant plus injustifiable qu’elle est commise alors qu’on est encore dans le pur registre de l’émotion, et pas encore aux bilanset réglements de compte politiques. Marine Le Pen ne demandait,semble-t-il, rien d’autre, au nom de ses électeurs, que de partager cette communion émotionnelle (née, rappelons-le, spontanément dans le peuple, et non sur commande des dirigeants, qui ne font que la « canaliser »). Sans cette décision stupide, sa présence dans le cortège serait presque passée inaperçue.
En dehors de quelques idéologues bornés, qui s’en réjouira ? La fin de non-recevoir opposée à M L P est un affront fait non seulement aux citoyens qui ont voté pour le FN, mais à tous les citoyens pour qui l’expression « union nationale » a un sens : non pas union sur la base d’un consensus politique (qui n’existe pas),mais solidarité émotionnelle (par delà des divergences qui peuvent être extrêmes) pour condamner l’inacceptable et rendre hommageà des victimes. C’est un affront fait, en fin de compte, à l’idée même d’union nationale, voire de nation.
On peut accorder à François Hollande et Manuel Valls le crédit de penser qu’ils n’ont pas pris cette décison d’ostracisme par pur calcul politicien, mais peut-être pour des motifs plus respectables, par exemple en faisant le calcul qu’elle permettrait plus facilement d’y associer les Français musulmans, pour qui le FN serait considéré comme un repoussoir, et de les ancrer plus fermement aux valeurs de la République. Peut-être. Mais dans ce genre de drame national, tout calcul est mauvais par essence.
Ce qu’on retiendra, c’est que nos dirigeants ont convié à leur cortège, parmi les représentants d’une multitude de partis etmouvements – certains groupusculaires et plus ou moinsouvertement communautaristes, dont l’attachement aux valeurs de la République n’est pas évident, et dont l’absence decompromission avec le radicalisme islamique reste à démontrer – ; et dans le même temps, refusé droit de cité à une fraction importante et institutionnelle de l’opinion française qui se montre particulièrement préoccupée des dangers de l’islamisme (au point d’en être régulièrement stigmatisée comme raciste).
Maurice Pergnier
11 janvier
Je suis Charlie
Il y a encore une semaine, j’aurais volontiers traité Charlie Hebdo de torchon tant je prisais peu son idéologie – moindre mal – et surtout son style alliant trop de laideur à trop de vulgarité. Mais cela, c’était avant. Avant que la poudre ne parle en lieu et place des mots.
Quand les divergences de vision du monde ne s’affrontent plus avec des arguments, voire de l’ironie vacharde, mais avec des fusils d’assaut, quand on tue journalistes et caricaturistes pour les faire taire et forcer les survivants à l’autocensure, il en va des fondements mêmes de toute civilisation. Pas de la nôtre, de toutes, car on n’a jamais rien bâti sur la subversion armée.
Ajoutons que l’émotion ne suffit pas. Si l’on regarde les vidéos que nos télévisions ne présentent plus mais que l’on trouve partout sur Internet, si l’on médite les témoignages, les faits s’imposent : nous sommes en face d’un acte de guerre perpétré par des professionnels ou du moins par des gens ayant reçu une solide formation militaire. Si c’est celle que fournissent les cadres de l’E.I., elle signifie non seulement une bonne connaissance du maniement des armes mais aussi des techniques de renseignement, de tactique et de préparation des actions de commando. Et qu’on ne me dise pas que c’est par hasard que se multiplient des actions meurtrières juste après les appels de l’État Islamique à ce que l’on pourrait appeler le bricolage terroriste des amateurs. Que ces appels aient retenti d’abord dans des cervelles fêlées, peut-être, mais c’était sans doute le but recherché ; et là, à Charlie Hebdo, nous n’avons plus affaire à du bricolage.
J’invite à lire l’analyse de Jean Michel Vernochet parue sur le réseau Voltaire sous le titre « Le wahhabisme est-il musulman ? », entretien qui démontre clairement combien ce littéralisme se démarque de l’islam historique et surtout combien ce qui aurait pu rester une interprétation marginale et intellectuellement très pauvre a été instrumenté dans le grand jeu géopolitique depuis le XIXe siècle. Cette analyse coupe net les « amalgames » que redoutent tant nos propres idéologues et permet de rester lucide au lieu de se cacher la tête dans le sable. Les salafistes de l’E.I. nous ont déclaré la guerre ? Dont acte. Défendons nous et de préférence soyons vainqueurs.
Je ne défendrai pas plus aujourd’hui qu’hier l’idéologie deCharlie Hebdo mais face à la brutalité terroriste, aujourd’hui,je suis Charlie !
Geneviève Beduneau
8 janvier
J’avais écrit cela le 3 novembre 2011 :
“Dire “ils l’ont bien cherché” à propos des dirigeants de Charlie Hebdo serait inconvenant. Ce serait rendre la victime complice du coup qui la frappe. Et rien n’est plus injuste qu’une tel retournement des rôles. On ne peut nier cependant qu’il puisse y avoir une relation de cause à effet entre la sortie du dernier numéro et l’action des incendiaires. Et on ne peut prétendre a l’ignorance, on savait de science sûre qu’un tel engrenage était envisageable. Rien de bien nouveau sous le soleil. Après l’écroulement d’une tour à Siloé, les Galiléens demandent à Jésus : “ceux qui ont péri sous les décombres sont-ils de plus grands pécheurs que les autres” ? Il leur répond : “non”, et ajoute pourtant : “si vous ne vous repentez pas, vous périrez comme eux”. Si nous ne nous repentons pas, si nous persévérons dans l’accusation et la provocation, dans le mépris et la peur, bien d’autres attentats auront lieu et nous périrons sous les décombres de notre société. Et nous ne pouvons pas ne pas le savoir. L’avenir dépend de nous.”
Je pourrais le récrire à l’identique, en changeant seulement “incendiaires” par “assassins”. Le sens en serait le même, mais confirmé et renforcé oh combien…
Denis Monod-Broca
7 janvier 2014